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Archives 2001-2011

APPROCHE D'UN CINEMA ALTERNATIF 6/9


Cette cinquième étape est consacrée à Peter Tscherkassky.



PROGRAMMATION MARS 2004

durée 1h 15, 16 mm et 35 mm

MOTION PICTURE
la sortie des ouvriers de l'usine Lumière à Lyon
Autriche, 1984, 3 min, NB, silencieux

Les mille yeux du Docteur Tscherkassky se sont arrêtés sur une image des débuts du cinéma : un photogramme de La Sortie des ouvriers de l'usine Lumière à Lyon se transforme en images surprenantes, dégagées de leur signifié.

SHOT, COUNTERSHOT
Autriche, 1987, 30 secondes, NB, silencieux

La grande syntaxe cinématographique de Christian Metz fractionne les segments autonomes en plans et syntagmes, ces derniers se subdivisant en syntagmes achronologiques ou chronologiques. La syntaxe se subdivise à son tour en descriptif et en narratif. La syntaxe narrative peut être divisée dans des catégories de syntagmes alternatifs et linéaires. La technique du champ-contrechamp est un syntagme linéaire typique.

TABULA RASA
Autriche, 1987-89, 17 min, Couleurs et NB

La théorie cinématographique récente (basée sur la théorie psychoanalytique de Jacques Lacan) considère l'écran comme miroir, où le spectateur a l'impression qu'il crée lui-même le film par une identification avec son propre acte (inhérent au voyeurisme) de voir.
En fait il y a des conditions spécifiques qui rendent cette façon de regarder possible. Tabula Rasa rend compte de ces conditions préalables, oscillant du figuratif à l'abstrait, de même qu'une irritation visuelle ne s'autorise pas elle-même à se comprendre comme sa propre création de spectateur. Comme l'attention du regard sert le plus commun : le corps féminin. C'est ce corps, qui se déplace dans les deux sens entre le visible (en tant qu'image) et le caché. Derrière la puissance de la réalité imaginaire du film classique on peut trouver le discours symbolique de l'autre (l'auteur/cinéaste) dans lequel la puissance du film en tant que réalité imaginée est révélée.

PARALLEL SPACE : INTER-VIEW
Autriche, 1992, 18 min, NB

Ce film a été entièrement réalisé avec un appareil photo. La taille d'une photo 24 x 36 correspond exactement à celle de deux photogrammes. Si je prends une photo avec une perspective centrale stricte, avec le point de fuite au milieu, lors de la projection cela vole en éclats. Optiquement, cela ressemble à un «flicker» à deux expositions ; l'unité spatio-temporelle se brise.
Rapidement j'ai commencé à interpréter les deux moitiés spatiales en fonction de leur contenu, afin d'écarter la séparation du spectateur de la réalité, dans un champ d'oppositions binaires : écoutant-parlant, voir-être vu, privé-public, homme-femme, enfant-adulte, sensualité/émotion-raison, sexualité-tabou, etc…

HAPPY-END
Autriche, 1996, 12 min, Couleurs

Happy-End est constitué de "found footage" : l'auteur a retravaillé des films de famille (home movies) des années 1960 et 1970. Dans les extraits sélectionnés parmi plusieurs heures de pellicule mettant en scène la vie privée de «Rudolf» et d'«Elfriede», on les voit en train de faire la fête avec exubérance, de boire de l'alcool et de manger des gâteaux tous les deux.
(...) Ce doit être leur enfant, celui qu'on ne voit jamais sur les images, mais qui annonce sa présence sous forme d‘une poupée symbolique et de miroirs. Je crois me souvenir que l'histoire d'amour de Rudolf et Elfriede a commencé durant l'été 1952, tandis que de tous les haut-parleurs s'échappait la chanson d'Annie Cordy Bonbons, caramels, esquimaux, chocolats. Leur fils est venu au monde en 1958. Peu après, on a acheté la première caméra. Au début des années 1970, il s'est mis à filmer toutes les grandes occasions annuelles, allant jusqu'à capter le désir sexuel qui s'éveille entre le champagne et la Sachertorte.
Vingt ans plus tard, celui qui entre-temps est devenu adulte, revoit ces extraits de films retrouvés. Cela ne le gêne pas le moins du monde. Il comprend comment les films de famille de cette époque l'ont conduit au cinéma d'avant-garde : le recours à l'image par image et aux nombreux «raccourcis» techniques, éclairs et effets de volet ont fait sauter l'illusion cinématographique en même temps que sa fonction : la conservation de la vie privée, de la vie qui défile – «Paradise not yet lost». En fouillant un peu plus dans ces archives familiales, il extrait de vieilles images filmées avec une caméra portative, qui doit dater «d'avant son époque à lui». Avec ces images, il jette un voile sur ses «propres» images et réécrit l'histoire de Rudolf et d'Elfriede en sens inverse, de retour dans un monde antérieur au langage, un monde des secrets. Il se libère du fardeau de la théorie cinématographique et familiale, acquise de haute lutte, le tourbillon des images et des sensations devient un «requiem éternel» et un hommage à sa mère qui tourne sur son pivot de plus en plus lent et qui rit comme une vieille chanteuse de jazz. Ainsi, il agit contre la douleur liée à la conscience qu'il n'arrivait pas à exprimer cette proximité du temps de Rudolf et d'Elfriede. Quel triste happy end !


L'ARRIVEE
Autriche, 1998, 3 min, NB

Premier volet de la trilogie L'Arrivée / Outer Space / Dreamwork .
Écran blanc. Tabula rasa. Panavision. L'Arrivée , comme la lumière pure de la projection, comme le blanc de la surface qui attend l'empreinte du réalisateur, illumine le spectateur. Avec L'Arrivée , Peter Tscherkassky reprend au départ, retourne à la lumière et aux Lumières qui à l'époque ont fait un film sur l'arrivée d'un train.
Et puis la pollution commence, la «story», si l'on veut : un frémissement sur la piste sonore, un craquement, une crépitation, un bourdonnement. Un voile gris s'approche du côté droit, la perforation d'une pellicule. L'Arrivée fait du cinéma à partir d'erreurs, d'incartades : des demi-images — les images nébuleuses d'une délégation grise dans une gare quelconque — pénètrent la surface blanche, convergent de gauche et de droite, se heurtent, se séparent de nouveau. Le matériel d'origine remonte à Mayerling, 1968, un mélodrame hambourgeois du britannique Terence Young. La couleur Eastman, autrefois présente, a été exorcisée par le réalisateur.
Tscherkassky poursuit ici une relecture radicale en cinémascope : un train arrive et entre en collision avec sa propre réflexion. Les événements se précipitent : Tscherkassky hystérise les images, leur fait perdre leur certitude, croise les pistes sonores avec les bandes de perforation, change le positif en négatif, éventre son matériel, «inside out» et «upside down», des images fantômes. Derrière le voile d'une pellicule toujours en amok, touchée par la panique de la machine cinématographique, une vedette de cinéma chancelle vers le baiser final. Catherine Deneuve descend, un homme (Omar Sharif, cela sonne comme j'arrive) se précipite vers elle, un baiser, un bonheur, une fin. L'Arrivée est la préparation d'un film, le mélodrame des valeurs de vue déplacées, orchestré par le plaisir du désastre.


OUTER SPACE
Autriche, 1999, 10 min, NB

Deuxième volet de la trilogie L'Arrivée / Outer Space / Dreamwork .
L'impression d'un film d'horreur, le danger qui guette. La nuit. Dans le regard de la caméra légèrement oblique surgit d'un noir profond dans une lumière irréelle une maison qui disparaît à nouveau. Une jeune femme s'approche lentement de ce bâtiment. Lorsqu'elle y entre, les points de montage craquent, la bande son grince de façon atténuée et étouffée. Du found footage hollywoodien sert de base au film. La silhouette qui tantôt traverse les images silencieusement, tantôt est jetée à travers l'image, s'appelle Barbara Hershey. Le «recycling» dramatique de Tscherkassky, le nouveau tirage et la nouvelle exposition du matériel, image par image, font chevaucher les images et les espaces les uns dans les autres, soustraient au public tout point d'attache et fendent les visages comme dans un cauchemar. Du «off», du «outer space», des éléments étrangers s'introduisent dans les images et bouleversent le montage. Les limites extérieures de l'image du film, la perforation vide et les squelettes de la bande-son optique s'entraînent à l'invasion : ils percent l'action du film déjà minée ; le cinéma se déchire lui-même poussé par l'espoir d'une dernière extase. Des murs de verre éclatent, des meubles se renversent. Tscherkassky harcèle son héroïne, la pousse à bout. Toujours à nouveau, semble-t-il, elle est projetée contre l'appareil cinématique jusqu'à ce que les images se mettent à bégayer, à sortir de leurs gonds. Outer Space , un électrochoc sur les dysfonctionnements filmiques, un «hell-raiser» du cinéma d'avant-garde qui déclenche un enfer et mène la destruction (de la narration, de l'illusion) avec une beauté rare.

DREAM WORK
Autriche, 2001, 11 min, NB

Troisième et dernier volet de la trilogie L'Arrivée / Outer Space / Dreamwork.
Dream Work est un film en noir et blanc et en CinémaScope, iI dure le temps d'une phase de sommeil profond. A partir du moment où une femme entre dans une maison, enlève ses chaussures, (puis le cadrage est lascif) également son slip, elle devient immanquablement à la fois sujet et objet, et quand elle s'endort, non seulement elle s'enfonce de plus en plus profond dans le film, mais c'est surtout celui-ci qui la pénètre. Grâce au travail de copie que Tscherkassky a entrepris sur chaque photogramme, cette superposition phallique qui fait que le corps de la femme n'existe qu'à l'intérieur du corps du film (et inversement), fait sensation au sens où on la ressent de façon immédiate, comme une frayeur due à l'impossibilité d'échapper à cette corrélation. Derrière l'éveil se tapit un rêve. Derrière les portes qui s'ouvrent se cache un moi. Derrière un homme qui se trouve dans la pièce s'élève le néant. Les images premières, consécutives et négatives tourbillonnent les unes autour des autres dans un maelström où la théorie classique de la psychanalyse sur le travail inconscient du conscient s'efface peu à peu pour faire place à une logique suprême du chaos neuronal, avant de se reconstituer (en suivant, au regard de l'histoire de l'art et du cinéma, la méthode rayographique de Man Ray) en un méta-rêve que l'on pourrait qualifier, en paraphrasant Freud, de " représentation de l'image " - et pour la première fois, en un objet sonore conçu en tant que tel. Dans Dream Work , comme dans un vrai rêve, aucune image n'est isolée, chaque image radicalement fortuite, mais leur relation nécessaire au point qu'une autre solution est impensable - à moins de changer d'univers. C'est donc le meilleur des mondes oniriques possibles, si effroyable qu'il paraisse.

SEANCE

MERCREDI 10 MARS A 20h30
Soirée présentée par Colas Ricard