ENSAN / LAUA • MAI 2013
Irlande-GB, 2002, 1h47, VOSTF
Avec James Nesbitt, Tim Pigott-Smith, Nicholas Farrell, Gérard Crossan
Film programmé en partenariat avec le laboratoire Langages, Actions Urbaines, Altérités (LAUA) et l'ENSAN (Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Nantes)
Avec James Nesbitt, Tim Pigott-Smith, Nicholas Farrell, Gérard Crossan
Film programmé en partenariat avec le laboratoire Langages, Actions Urbaines, Altérités (LAUA) et l'ENSAN (Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Nantes)
Le dimanche 30 janvier 1972, à Derry, en Irlande du Nord, Ivan Cooper est l'organisateur d'une marche pacifique pour l'égalité des droits entre catholiques et protestants, farouchement déterminés à éviter toute violence entre les différents protagonistes. Mais malgré son dialogue avec les autorités unionistes et ses tentatives de négociation avec les forces de l'ordre britanniques, la manifestation se transforme en émeute : treize personnes sont tuées par l'armée. Cette journée, désormais inscrite dans l'Histoire sous le nom de Bloody Sunday, marque le début de la guerre civile. Le traitement de Paul Greengrass (ancien reporter pour la télévision) est une représentation et une analyse des événements à mi-chemin entre enquête documentaire et fiction. Au soir du Dimanche sanglant, on voit des dizaines de jeunes gens faire la queue pour adhérer à l'IRA : force d'une image symbolique dans un film qui tente de rétablir la vérité.
"Nous y sommes. Il n'y a pas de musique, pas de cadre, pas d'effet. La musique, c'est l'accent du Bogside, du Creegan, les petits mots d'ici et pas d'ailleurs. La musique, c'est le thé qui fume sur les tables basses, les sandwiches qui attendent sur le rebord de la fenêtre, le papier peint sinistre, les manteaux boutonnés jusqu'au col, les fichus sur les cheveux bigoudis. La musique, ce sont les gamins col relevé, mains dans les poches et pantalon trop court, le curé qui demande ce qu'on devient, la chaleur du pub avant l'inquiétude de la rue. La musique, c'est le bourdonnement de l'hélicoptère, les pleurs du bébé à l'étage, les pas sur le mouillé, les gamines sans manches qui grelottent dans le froid. La musique, ce sont les vieillards et les enfants mêlés, les cheveux blancs face aux casques lourds.
Pas de cadre non plus. Caméra à l'épaule, suis-nous, viens, marche avec, l'image est encombrée de dos en trop, de flous, de passants, de briques, d'agitation fébrile. Nous sommes bousculés.
Pas d'effets de lumière non plus, rien. Juste des plans rapides, cassés, brutaux comme des chutes de reportage. Presque l'actualité. D'autant que le sentiment demeure lorsqu'on franchit la ligne et que l'on est en face, chez les Anglais. Les paras, l'armée, les officiers, du réel, du brut. Le soldat de la vraie vie, embusqué au bas de la rue, dans le jardin du voisin, qui vous demande à la Liverpool d'où vous venez et où vous allez. Rien de l'Irlandais de propagande, rien de l'Anglais de caricature. Tout est vrai. Dans tous les films consacrés à l'Irlande du Nord, il y a eu ce petit moment d'imagerie, donc de gêne, donc de paresse, donc de faiblesse. Même les plus grands, Hidden Agenda de Loach, The Crying Game de Jordan, In the Name of the Father de Sheridan ou le Collins de Jordan, offraient de ce fait une distance rassurante et confortable avec la réalité.
Et l'on cherche ici, dans ce Bloody Sunday, ce qui fait la différence. Pourquoi cette colère de foule ressemble à une colère de foule ? Et la rage des soldats à une rage de soldat ? Pourquoi ces accents sont-ils si vrais et ces visages si proches ? Comment est-il possible que nous soyons tellement là-bas, il y a trente ans et au milieu du drame ? Parce que tout est vrai. C'est par cars entiers que le réalisateur Paul Greengrass a acheminé les gens de Derry pour tourner leur propre rôle dans ce film, tourné pour partie dans leur ville, pour partie à Dublin. Ce sont eux, les descendants, et aussi les témoins d'alors, qui marchent en foule de cinéma sur les fusils du barrage. Et les fantassins, la majorité des hommes de troupe que nous suivons ont été soldats dans l'armée britannique. Certains ont servi en Irlande du Nord. Lorsqu'on les voit derrière les murs, tendus, haineux, angoissés par le vacarme de la marche, recevant ordres et contrordres à ne savoir que faire, c'est que le réalisateur les a maintenus comme ça, dans cette posture inquiète, presque sans consigne, pour qu'ils retrouvent d'instinct leurs gestes de guerriers. Et plus bouleversant encore. Après la fusillade, dans l'hôpital d'Altnagelvin, alors que les cadavres sont allongés dans leur sang à même le sol et que les paras armés parcourent les couloirs, le film nous montre des dizaines de familles, agrippées les unes aux autres dans la souffrance. Ces figurants tragiques sont tous de Derry, beaucoup sont les parents des morts et des blessés du dimanche sanglant. Trente ans plus tard, ils ont demandé à être là, ensemble, pour dire publiquement leur douleur. Voilà pourquoi ces larmes ne sont pas vraiment des larmes de cinéma."
Sorj Chalandon, Libération
"Nous y sommes. Il n'y a pas de musique, pas de cadre, pas d'effet. La musique, c'est l'accent du Bogside, du Creegan, les petits mots d'ici et pas d'ailleurs. La musique, c'est le thé qui fume sur les tables basses, les sandwiches qui attendent sur le rebord de la fenêtre, le papier peint sinistre, les manteaux boutonnés jusqu'au col, les fichus sur les cheveux bigoudis. La musique, ce sont les gamins col relevé, mains dans les poches et pantalon trop court, le curé qui demande ce qu'on devient, la chaleur du pub avant l'inquiétude de la rue. La musique, c'est le bourdonnement de l'hélicoptère, les pleurs du bébé à l'étage, les pas sur le mouillé, les gamines sans manches qui grelottent dans le froid. La musique, ce sont les vieillards et les enfants mêlés, les cheveux blancs face aux casques lourds.
Pas de cadre non plus. Caméra à l'épaule, suis-nous, viens, marche avec, l'image est encombrée de dos en trop, de flous, de passants, de briques, d'agitation fébrile. Nous sommes bousculés.
Pas d'effets de lumière non plus, rien. Juste des plans rapides, cassés, brutaux comme des chutes de reportage. Presque l'actualité. D'autant que le sentiment demeure lorsqu'on franchit la ligne et que l'on est en face, chez les Anglais. Les paras, l'armée, les officiers, du réel, du brut. Le soldat de la vraie vie, embusqué au bas de la rue, dans le jardin du voisin, qui vous demande à la Liverpool d'où vous venez et où vous allez. Rien de l'Irlandais de propagande, rien de l'Anglais de caricature. Tout est vrai. Dans tous les films consacrés à l'Irlande du Nord, il y a eu ce petit moment d'imagerie, donc de gêne, donc de paresse, donc de faiblesse. Même les plus grands, Hidden Agenda de Loach, The Crying Game de Jordan, In the Name of the Father de Sheridan ou le Collins de Jordan, offraient de ce fait une distance rassurante et confortable avec la réalité.
Et l'on cherche ici, dans ce Bloody Sunday, ce qui fait la différence. Pourquoi cette colère de foule ressemble à une colère de foule ? Et la rage des soldats à une rage de soldat ? Pourquoi ces accents sont-ils si vrais et ces visages si proches ? Comment est-il possible que nous soyons tellement là-bas, il y a trente ans et au milieu du drame ? Parce que tout est vrai. C'est par cars entiers que le réalisateur Paul Greengrass a acheminé les gens de Derry pour tourner leur propre rôle dans ce film, tourné pour partie dans leur ville, pour partie à Dublin. Ce sont eux, les descendants, et aussi les témoins d'alors, qui marchent en foule de cinéma sur les fusils du barrage. Et les fantassins, la majorité des hommes de troupe que nous suivons ont été soldats dans l'armée britannique. Certains ont servi en Irlande du Nord. Lorsqu'on les voit derrière les murs, tendus, haineux, angoissés par le vacarme de la marche, recevant ordres et contrordres à ne savoir que faire, c'est que le réalisateur les a maintenus comme ça, dans cette posture inquiète, presque sans consigne, pour qu'ils retrouvent d'instinct leurs gestes de guerriers. Et plus bouleversant encore. Après la fusillade, dans l'hôpital d'Altnagelvin, alors que les cadavres sont allongés dans leur sang à même le sol et que les paras armés parcourent les couloirs, le film nous montre des dizaines de familles, agrippées les unes aux autres dans la souffrance. Ces figurants tragiques sont tous de Derry, beaucoup sont les parents des morts et des blessés du dimanche sanglant. Trente ans plus tard, ils ont demandé à être là, ensemble, pour dire publiquement leur douleur. Voilà pourquoi ces larmes ne sont pas vraiment des larmes de cinéma."
Sorj Chalandon, Libération
Séances
Mercredi 15 mai 2013 à 20h30
Dimanche 19 mai 2013 à 21h
Lundi 20 mai 2013 à 19h
• Mercredi 15 mai • 20:30 • séance suivie d'une intervention de Jean Guiffan, historien spécialiste de l’Irlande
Dimanche 19 mai 2013 à 21h
Lundi 20 mai 2013 à 19h
• Mercredi 15 mai • 20:30 • séance suivie d'une intervention de Jean Guiffan, historien spécialiste de l’Irlande