Hana-bi
La notion d’errance engage immédiatement une lecture polysémique, puisqu’elle renvoie autant à la flânerie qu’à l’instabilité, à la déambulation ludique qu’à l’absence d’ancrage durable. Chacun des films de cette programmation convoque une entrée particulière dans ce rapport au mouvement permanent (littéralement ou symboliquement), néanmoins les liens entre les films abondent.
Aux espaces, notamment, puisqu’il n’est peut-être question que de les parcourir en tous sens pour mieux se confronter à leur imaginaire et leur redonner du sens. A ce titre, le territoire nord-américain sera envisagé selon à capacité à relire perpétuellement sa propre histoire : la traversée d’étendues désertiques archétypales du western et la confrontation à la figure complexe de l’indien dans La prisonnière du désert, la Grande Dépression des années 1930 sur un mode burlesque dans O’brother, l’aspiration à la liberté et la redéfinition du road-movie dans Sailor et Lula, le métissage des cultures urbaines et des codes d’honneur dans Ghost dog. Au Japon, espace fermé car insulaire, l’errance questionne la rencontre avec l’idée même du Mal, à travers la destinée tragique d’un policier suicidaire dans Hana-bi, ou la survie de deux enfants des rues dans une métropole faite d’agglomérats de signes et d’objets dans Amer béton. Plus léger et endroit de tous les possibles, le Paris de la fin des années 1950 offre enfin un terrain de jeu à un jeune délinquant en fuite dans A bout de souffle.
Au-delà de la simple idée du déplacement géographique dont le point d’arrivée ne serait jamais connu à l’avance, les trajectoires individuelles ou collectives des personnages induisent une série de questionnements identitaires. Tous doivent effleurer où admettre l’idée que les constituants de leur monde s’effritent, que leurs repères se dissolvent, que quelque chose leur échappe. Certains ne sont même plus que des fantômes d’une époque révolue, les condamnant à trouver une nouvelle attache ou à disparaître. L’errance est donc aussi le flottement des normes et des valeurs.
Cette programmation a été établie dans un souci de présenter des types d’écriture cinématographiques variés, afin de disposer d’un panorama filmique étendu. Elle s’appuie sur des films provenant de pays et d’époques divers, mais aussi sur des formes d’expressions visuelles singulières (l’animation, pour Amer béton). Ils sont proposés selon une progression rythmique plutôt que chronologique ou géographique, et doivent être entrevus comme un ensemble de déclinaisons possibles du thème général.
Leur diversité est aussi statutaire, puisqu’indépendamment de leur contexte de création, ils sous-tendent des moyens (humains, économiques, techniques) très différents. Cette dimension sera décrite et commentée, mais ne doit pas influer sur le jugement à leur égard. La production d’un film n’est jamais un critère de sa qualité, et le cinéma, en tant qu’art mais aussi industrie (la chose est connue), génère des œuvres divertissantes qui, toujours, se prêtent à l’analyse (esthétique d’une part, mais aussi historique ou sociologique).
Afin de spécifier de quelle manière chaque film procède d’un système narratif faisant écho à la thématique de l’errance, et existe également en tant que dispositif esthétique original, il s’agira de faire un retour analytique sur le film immédiatement après sa découverte (ou redécouverte) en salle. L’outil privilégié sera la série de photogrammes (image fixes, extraites du film) dont les nombreuses mises en correspondance permettront d’opérer des recoupements destinés à révéler les principales lignes de la mise en scène. Entendue comme ensemble de logiques qui construisent le film, comme langage ou écriture propre au cinéma, cette dernière notion sera la préoccupation pédagogique prioritaire. A un niveau plus large, la mise en scène pourra désigner les moyens par lesquels un cinéaste imprime sa marque aux films qu’ils tourne, affirme une particularité, et impliquera de recourir à des extraits d’autres films de son œuvre, afin d’en cerner les principaux contours.
S’il n’est pas une grille de décryptage du monde, le cinéma n’en propose pas moins une hypothèse de lecture restituée par ses moyens propres. L’expérience personnelle du spectateur doit entrer en résonance avec celle du cinéaste afin de conférer du sens au film. C’est dans cette confrontation que se déploie un modèle particulier de relation du spectateur au temps, à l’espace, aux dispositions et aux déplacements des protagonistes, à la constitution graphique et à l’agencement, des éléments, et à leur signification. Chacun devra se les approprier pour construire une signification globale, et ainsi réfléchir à ses propres pratiques de création.
Texte publié à l'occasion de la programmation de l'Ecole de Design pour l'année scolaire 2011-2012
Aux espaces, notamment, puisqu’il n’est peut-être question que de les parcourir en tous sens pour mieux se confronter à leur imaginaire et leur redonner du sens. A ce titre, le territoire nord-américain sera envisagé selon à capacité à relire perpétuellement sa propre histoire : la traversée d’étendues désertiques archétypales du western et la confrontation à la figure complexe de l’indien dans La prisonnière du désert, la Grande Dépression des années 1930 sur un mode burlesque dans O’brother, l’aspiration à la liberté et la redéfinition du road-movie dans Sailor et Lula, le métissage des cultures urbaines et des codes d’honneur dans Ghost dog. Au Japon, espace fermé car insulaire, l’errance questionne la rencontre avec l’idée même du Mal, à travers la destinée tragique d’un policier suicidaire dans Hana-bi, ou la survie de deux enfants des rues dans une métropole faite d’agglomérats de signes et d’objets dans Amer béton. Plus léger et endroit de tous les possibles, le Paris de la fin des années 1950 offre enfin un terrain de jeu à un jeune délinquant en fuite dans A bout de souffle.
Au-delà de la simple idée du déplacement géographique dont le point d’arrivée ne serait jamais connu à l’avance, les trajectoires individuelles ou collectives des personnages induisent une série de questionnements identitaires. Tous doivent effleurer où admettre l’idée que les constituants de leur monde s’effritent, que leurs repères se dissolvent, que quelque chose leur échappe. Certains ne sont même plus que des fantômes d’une époque révolue, les condamnant à trouver une nouvelle attache ou à disparaître. L’errance est donc aussi le flottement des normes et des valeurs.
Cette programmation a été établie dans un souci de présenter des types d’écriture cinématographiques variés, afin de disposer d’un panorama filmique étendu. Elle s’appuie sur des films provenant de pays et d’époques divers, mais aussi sur des formes d’expressions visuelles singulières (l’animation, pour Amer béton). Ils sont proposés selon une progression rythmique plutôt que chronologique ou géographique, et doivent être entrevus comme un ensemble de déclinaisons possibles du thème général.
Leur diversité est aussi statutaire, puisqu’indépendamment de leur contexte de création, ils sous-tendent des moyens (humains, économiques, techniques) très différents. Cette dimension sera décrite et commentée, mais ne doit pas influer sur le jugement à leur égard. La production d’un film n’est jamais un critère de sa qualité, et le cinéma, en tant qu’art mais aussi industrie (la chose est connue), génère des œuvres divertissantes qui, toujours, se prêtent à l’analyse (esthétique d’une part, mais aussi historique ou sociologique).
Afin de spécifier de quelle manière chaque film procède d’un système narratif faisant écho à la thématique de l’errance, et existe également en tant que dispositif esthétique original, il s’agira de faire un retour analytique sur le film immédiatement après sa découverte (ou redécouverte) en salle. L’outil privilégié sera la série de photogrammes (image fixes, extraites du film) dont les nombreuses mises en correspondance permettront d’opérer des recoupements destinés à révéler les principales lignes de la mise en scène. Entendue comme ensemble de logiques qui construisent le film, comme langage ou écriture propre au cinéma, cette dernière notion sera la préoccupation pédagogique prioritaire. A un niveau plus large, la mise en scène pourra désigner les moyens par lesquels un cinéaste imprime sa marque aux films qu’ils tourne, affirme une particularité, et impliquera de recourir à des extraits d’autres films de son œuvre, afin d’en cerner les principaux contours.
S’il n’est pas une grille de décryptage du monde, le cinéma n’en propose pas moins une hypothèse de lecture restituée par ses moyens propres. L’expérience personnelle du spectateur doit entrer en résonance avec celle du cinéaste afin de conférer du sens au film. C’est dans cette confrontation que se déploie un modèle particulier de relation du spectateur au temps, à l’espace, aux dispositions et aux déplacements des protagonistes, à la constitution graphique et à l’agencement, des éléments, et à leur signification. Chacun devra se les approprier pour construire une signification globale, et ainsi réfléchir à ses propres pratiques de création.
Texte publié à l'occasion de la programmation de l'Ecole de Design pour l'année scolaire 2011-2012