FILMS DU PATRIMOINE • GRANDS CLASSIQUES

Finis Terrae


de Jean Epstein



GRANDS CLASSIQUES : BORDS DE MER • 2021-2022

France, 1929, 1h20
avec Jean-Marie Laot, Ambroise Rouzic

Eté 1928, quatre hommes seuls sur une toute petite île de l’archipel de Molène récoltent et brûlent le goémon, un travail rude et épuisant. Ambroise et Jean-Marie les deux plus jeunes se fâchent pour une broutille et lorsqu’Ambroise tombe gravement malade, sa fierté l’empêche de se plaindre auprès des autres...

Ce long-métrage est le premier de la série "Poèmes Bretons" réalisée par Jean Epstein après son départ de Paris et la faillite de sa société de production. Il vient tout juste de terminer La Chute de la Maison Usher, mais déjà d’autres horizons l’appellent. D’abord quitter les studios et se confronter au tournage en extérieurs ou plutôt poursuivre cette expérience qu’il a menée dès 1923 avec Cœur Fidèle. Fasciné par l’eau et son potentiel poétique Epstein, qui a déjà filmé la Méditerranée et la Seine, choisit la Bretagne et ses îles "grains de beauté qui parsèment le visage de l'océan" pour ses nouveaux projets.
Sur l’ile d’Ouessant, il découvre, observe ces femmes et ces hommes dont le destin est intimement lié à l’océan. C’est à eux qu’il demande d’interpréter leurs propres rôles une fois qu’il a écrit un scénario, somme toute assez anecdotique, mais qui témoigne de leur quotidien. Le documentaire n’est pas loin et les intertitres apportent les précisions nécessaires à la compréhension au métier méconnu de goémonier. On pense au travail de Robert Flaherty, à L’Homme d’Aran avec lequel, quelques années plus tard, il fera découvrir l’âpreté et les risques de la vie des pêcheurs irlandais.

Néanmoins Epstein ajoute de la magie à la dimension ethnographique, lui qui s’étonne de la puissance de sa caméra "dernière réserve du féérique", en joue avec virtuosité. Le cadre est précis, serré, toujours construit avec rigueur : les plans fixes saisissent des personnages en mouvement avec une justesse surprenante. Epstein considère le gros plan comme la clé de voute du cinéma, qui "exprime au maximum la photogénie du mouvement" et permet de dépeindre une évolution psychologique. Les visages juvéniles et lumineux de ses personnages principaux apparaissent plein cadre comme dans un tête à tête avec le spectateur, juste après un plan sur leurs mains coupant et partageant du pain. Quoi de plus évident que de présenter des travailleurs comme Jean-Marie et Ambroise par leurs mains ?

Gestes de routine sur le bateau : border une voile, jeter l’ancre, manier la faucille à goémon. Dans une sorte de dialogue monté en champ/contrechamp, la caméra embarquée alterne des plans sur les hommes au travail et des plans sur l’océan, les rochers d’où décolle un vol de cormorans… L’Atlantique devient un personnage à part entière. Le cinéaste, qui a très tôt expérimenté ce que caméra et montage permettent, poursuit cette quête d’une incarnation de la poésie. Ralentis, flous, surimpressions, l’image est une matière qu’il modèle avec bonheur. Le phare de l’île d’Ouessant par son caractère imposant et ses optiques spectaculaires offre des potentialités cinématographiques que le cinéaste ne peut ignorer. Devenu un protagoniste supplémentaire de l’histoire, le phare est entre autres filmé dans un remarquable panoramique en spirale dans l’escalier en colimaçon.

Car à la moitié du film, Epstein nous emmène à quelques encablures sur cette île plus grande, là où les goémoniers vivent le reste de l’année et où l’on s’inquiète de ne plus voir de fumée sur l’île de Bannec. Des secours s’organisent, la tension monte. Des images d’une puissante beauté dévoilent la communauté des Ouessantins anxieuse pour les siens. Face à l’océan les femmes tendent leur regard vers un horizon obstrué de vagues qui se fracassent violemment contre les rochers. Avec ces paquets de mer souvent filmés au ralenti on retrouve le rythme lent forcé que le cinéaste affectionne pour inspirer le sentiment d’attente.

Finis Terrae est un film muet (accompagné aujourd’hui d’une musque originale de Roch Havet) pourtant le spectateur saisit qu’Epstein n’a pas évacué la dimension sonore. En 1947 avec le court-métrage Le Tempestaire il reprendra ses expériences sur le ralenti et les étendra au son, parvenant ainsi par les moyens du cinéma à dominer les éléments déchaînés.

Séances

ANCENIS • Cinéma Éden 3
Mar 16/03/21, 20:30

BOUGUENAIS • Cinéma Le Beaulieu
Mer 24/03/21, 20:00

VERTOU • Ciné-Vaillant
Jeu 8/04/21, 20:00

SAINTE-MARIE-SUR-MER • Cinéma Saint-Joseph
Mer 16/06/21, 20:30