Into the west, Mike Newell, 1994
Bloody sunday, Paul Greengrass, 2001
Shadow dancer, James Marsh, 2012
Bloody sunday, Paul Greengrass, 2001
Shadow dancer, James Marsh, 2012
L’histoire du cinéma irlandais (et/ou sur l’Irlande) est indissociable de l’histoire coloniale et post-coloniale du pays, qu’on parle de la République d’Irlande ou de l’Irlande du Nord1. Avant 1915, ce sont des réalisateurs américains qui traitent de l’Irlande dans leurs films et la nature y joue un rôle essentiel liée à la nostalgie des émigrés d’origine irlandaise. L’avènement d’un État libre en 1922 n’a pas entraîné l’émergence d’une industrie cinématographique et les écrans des cinémas irlandais ont longtemps été submergés par les productions de films hollywoodiens. La production autochtone reste longtemps réduite à des comédies et très peu de films sont consacrés aux événements de la lutte armée de 1916-1922 et peu sont situés à Dublin. Les productions britanniques et américaines vont continuer à dominer les écrans, la production irlandaise évitant les représentations réalistes du pays, y compris les documentaires préférant une peinture ethnique aux problèmes sociaux liés à la condition ouvrière. On pense bien sûr à Robert Flaherty et en particulier à L’homme d’Aran (1934), poème lyrique plus qu’ethnographique, épopée de l’homme face à la nature. L’image de la ruralité va longtemps représenter un stéréotype dans la culture irlandaise dont le cinéma va se faire l’écho alors même que l’Irlande était déjà engagée dans un processus d’urbanisation. À la fin des années quatre-vingt, une série de films traitent enfin de la question urbaine – Angel, de Neil Jordan (1988), The Commitments, d’Alain Parker (1991), The Snapper, de Stephan Frears (1993).
Into the west (2) s’apparente à cette génération, il donne à sa manière une importance à la ville. Le scénario, inspiré du roman de Michael Pearse, a été écrit par l’irlandais Jim Sheridan mais c’est un réalisateur britannique, Mike Newell, qui signa le contrat ! Tourné en Irlande avec des acteurs majoritairement irlandais, ce film est devenu le symbole de la modernisation de l’Irlande à travers le thème de la sédentarisation des Tinkers (3). À la scène du cheval blanc au galop sur la plage sur fond de musique irlandaise qui ouvre le film, succède la représentation de la ville rehaussée du décollage bruyant d’un avion. Le film révèle les formes de rejet de cette population nomade de l’intérieur mais c’est également un conte où la légende de Tir Na Nog rencontre le quotidien des gens du voyage acculés aux banlieues populaires et déclassées de l'Irlande urbanisée. Into the west enfin est aussi un western. Deux enfants, fils d'un nomade sédentarisé et alcoolique depuis la mort de sa femme, fuient les faubourgs de Dublin où leurs origines les contraignent à vivre de l'assistance sociale et de mendicité. Ils ont été bercés par les westerns à la télé (ainsi L'homme des vallées perdues z’yeuté par un trou dans le mur des voisins) et partent vers l'ouest sur le dos du cheval mystérieusement surgi de la mer. Le film est un trajet à travers le pays, vers les origines des Tinkers et la réconciliation d’un père avec ses ancêtres, avec des feux de camps, des étapes dans des villages aux pubs/saloons, des scènes de train... Quand les enfants entrent avec leur cheval dans un cinéma pour y passer la nuit, ils mettent en marche les machines et après une orgie de coca et de pop-corn, lancent le film Retour vers le futur III, avec ses indiens et ses cow-boys. À la poursuite de ses enfants, le père, roi des Tinkers déchu, rencontre sur la route les fantômes de sa vie d'homme libre, retrouvant le point d'origine qui l'a conduit à prendre le chemin de la ville. Pourtant le film n’est pas seulement nostalgique, il peut aussi se lire comme un révélateur du nouvel espace architectural (la scène de l’ascenseur !) et péri urbain que les enfants et leur cheval investissent à leur manière et avec lesquelles composent les tinkers qui hybrident les cultures populaires spatialisées.
Les chevaux très utilisés par ces nomades, mais aussi par bien d’autres catégories sociales (le film nous montre un marché aux chevaux, un concours hippique et une chasse à courre !) constituent, en ce qui concerne les classes populaires, un point de friction bien réel avec les autorités qui ont fini par légiférer : depuis 1997 les chevaux doivent être en règle et logés dans des écuries convenables, dans le cas contraire, la ville a le droit de les confisquer... Les chevaux entre les tours et les jeunes à dos des poneys n’en participent pasmoins de l’image des classes
populaires de Dublin et d’une tradition libertaire qui dépasse celle des Tinkers.
Les chevaux très utilisés par ces nomades, mais aussi par bien d’autres catégories sociales (le film nous montre un marché aux chevaux, un concours hippique et une chasse à courre !) constituent, en ce qui concerne les classes populaires, un point de friction bien réel avec les autorités qui ont fini par légiférer : depuis 1997 les chevaux doivent être en règle et logés dans des écuries convenables, dans le cas contraire, la ville a le droit de les confisquer... Les chevaux entre les tours et les jeunes à dos des poneys n’en participent pasmoins de l’image des classes
populaires de Dublin et d’une tradition libertaire qui dépasse celle des Tinkers.
Bloody Sunday et Shadow Dancer renvoient, quant à eux, au conflit nord irlandais, cette la seconde moitié des années soixante par un mouvement pour les droits civiques contre la ségrégation confessionnelle subie par la minorité catholique. L'opposition entre républicains et nationalistes (principalement catholiques) d'une part, loyalistes et unionistes (principalement protestants) d'autre part, sur l'avenir de l'Irlande du Nord, entraîne une montée de la violence qui va durer trente ans. Elle est le fait de groupes paramilitaires républicains, comme l'IRA dont le but est demettre fin à l'autorité britannique en Irlande du Nord afin de créer une république irlandaise sur l'ensemble de l'île, et loyalistes, comme l'Ulster Volunteer Force formée en 1966 pour stopper la détérioration du caractère britannique du pays. Les interprétations sur la nature du conflit et des positions des protagonistes sont centrales, les actions de l’IRA sont considérées comme du terrorisme par les forces de sécurité britanniques et comme une révolution ou une résistance militaire à l'occupation et à l'impérialisme britannique par leurs partisans.
Ce conflit frôla la guerre civile en 1972 lors de la marche à Derry, qui prendra le nom de Bloody Sunday, organisée par la NICRA (Northern Ireland Civil Rights Association) où les paramilitaires
de l’armée britanniques tirèrent sur les manifestants prétextant répondre à des tirs de membres de l'IRA. Le film, qui fait le récit de cette journée sanglante, centre l’histoire sur l’un des membres de la NICRA, Ivan Cooper, député unioniste, vu comme l’organisateur de la marche de protestation contre les discriminations subies par les catholiques, et comme farouchement déterminé à éviter toute violence entre les différents protagonistes. En face, le général McLellan, chargé de la répression, mais qui cherche à éviter le pire, et le général Ford, son supérieur, qui n'a, lui, qu'une idée en tête : frapper aussi fort que possible. Les deux états majors se mettent en mouvement simultanément et les séquences alternent d’un camp à l’autre. Les scènes qui précèdent la marche sur la place du Bogside (4) nous impliquent parmi les manifestants dans ce moment de l’engagement non seulement symbolique comme dans une manifestation autorisée mais aussi physique, car l’arrivée massive des militaires, des blindés et d’un bataillon de parachutistes fait craindre le pire. Le quartier du Bogside est une zone de la banlieue de Derry essentiellement habitée de catholiques républicains. La place centrale, sorte de terrain vague aux limites floues, bordée par des maisons ouvrières et surplombée par des immeubles sociaux, devient scène, le monument “You are now entring in Free Derry” et les barricades donnant la charge symbolique et politique du lieu. Parmi les manifestants, les élus, les adultes, le prêtre tentent de calmer les adolescents qui veulent en découdre, provoqués par la présence agressive des militaires. Le trajet de la manifestation part des banlieues catholiques perchées sur les collines surplombant la ville et doit rejoindre la mairie, siège du pouvoir protestant, pour un débat public. Caméra à l’épaule, le film nous entraîne dans les rangs des manifestants. Le film montre comment la pression collective (de part et d’autre) submerge les positions individuelles. Le dialogue avec les unionistes et l’armée britannique échoue malgré les tentatives de négociation et la manifestation se transforme en émeute : treize personnes sont tuées par l'armée et un quatorzième meurt quelques mois plus tard. Quand la violence bascule, le spectateur est comme plongé directement dans l’expérience du chaos. Le film a vocation de témoignage, voire de travail mémoriel au sens de la mémoire vive créant un pont direct entre passé et présent, en l’absence d’un possible travail de l’histoire (5). Pour lui donner plus de force, Paul Greengrass le réalisateur a fait participer le plus grand nombre d'habitants de Derry, mêlant des soldats de l'armée britannique, des anciennes victimes, des Républicains et des Nationalistes, et les forces spéciales irlandaises, chargées de la sécurité du plateau.
C'est par cars entiers qu’il a acheminé les gens de Derry pour tourner leur propre rôle, ce sont les descendants ou les témoins directs qui ont marché en foule de cinéma. “Après la fusillade, dans l'hôpital d'Altnagelvin, alors que les cadavres sont allongés dans leur sang à même le sol et que les paras armés parcourent les couloirs, le film nous montre des dizaines de familles, agrippées les unes aux autres dans la souffrance. Ces figurants tragiques sont tous de Derry, beaucoup sont les parents des morts et des blessés du dimanche sanglant. Trente ans plus tard, ils ont demandé à être là, ensemble, pour dire publiquement leur douleur. Voilà pourquoi ces larmes ne sont pas vraiment des larmes de cinéma” (6). Le réalisateur n’est pas neutre et pour lui la responsabilité de l’armée ne fait pas de doute mais l’enquête qui suivit (réouverte ensuite) a blanchi l’armée et aucune sanction n’a jamais été prise à l’égard des officiers britanniques responsables de l’opération. Après le massacre, en regard des scènes autour des morts à l’hôpital où une communauté se soude et construit une page de son histoire, le film montre simultanément le travail à chaud fait par l’autorité militaire, il faut stabiliser vite un récit qui renvoie la faute sur l’IRA, les soldats qui ont tiré parlent, déchargent leurs émotions et malgré les conflits bien visibles entre les parachutistes qui ont ouvert le feu et certains militaires, toute l’armée refait corps, dans un exercice collectif d’auto persuasion. Les journalistes sont pris à partie, la suite de l’histoire dépendra aussi de la nature de leurs témoignages. Le film se termine par le constat d’une défaite, celle de l’idéalisme et du pacifisme, la violence entraînant la violence. Ivan Cooper lors de la conférence de presse de fin, prononce une phrase d’une vérité terrible “que le gouvernement britannique a pavé le chemin et a donné la victoire à I’IRA”, en créant un tel massacre, des centaines de jeunes se pressent pour rejoindre les rangs de l’IRA et prendre les armes. Il annonce ensuite les noms des victimes avec leur âge, cette liste devenue litanie, renvoie à l’idée du monument aux morts. Le film se termine avec la chanson, devenue culte, Sunday Bloody Sunday du groupe irlandais de rock, U2.
de l’armée britanniques tirèrent sur les manifestants prétextant répondre à des tirs de membres de l'IRA. Le film, qui fait le récit de cette journée sanglante, centre l’histoire sur l’un des membres de la NICRA, Ivan Cooper, député unioniste, vu comme l’organisateur de la marche de protestation contre les discriminations subies par les catholiques, et comme farouchement déterminé à éviter toute violence entre les différents protagonistes. En face, le général McLellan, chargé de la répression, mais qui cherche à éviter le pire, et le général Ford, son supérieur, qui n'a, lui, qu'une idée en tête : frapper aussi fort que possible. Les deux états majors se mettent en mouvement simultanément et les séquences alternent d’un camp à l’autre. Les scènes qui précèdent la marche sur la place du Bogside (4) nous impliquent parmi les manifestants dans ce moment de l’engagement non seulement symbolique comme dans une manifestation autorisée mais aussi physique, car l’arrivée massive des militaires, des blindés et d’un bataillon de parachutistes fait craindre le pire. Le quartier du Bogside est une zone de la banlieue de Derry essentiellement habitée de catholiques républicains. La place centrale, sorte de terrain vague aux limites floues, bordée par des maisons ouvrières et surplombée par des immeubles sociaux, devient scène, le monument “You are now entring in Free Derry” et les barricades donnant la charge symbolique et politique du lieu. Parmi les manifestants, les élus, les adultes, le prêtre tentent de calmer les adolescents qui veulent en découdre, provoqués par la présence agressive des militaires. Le trajet de la manifestation part des banlieues catholiques perchées sur les collines surplombant la ville et doit rejoindre la mairie, siège du pouvoir protestant, pour un débat public. Caméra à l’épaule, le film nous entraîne dans les rangs des manifestants. Le film montre comment la pression collective (de part et d’autre) submerge les positions individuelles. Le dialogue avec les unionistes et l’armée britannique échoue malgré les tentatives de négociation et la manifestation se transforme en émeute : treize personnes sont tuées par l'armée et un quatorzième meurt quelques mois plus tard. Quand la violence bascule, le spectateur est comme plongé directement dans l’expérience du chaos. Le film a vocation de témoignage, voire de travail mémoriel au sens de la mémoire vive créant un pont direct entre passé et présent, en l’absence d’un possible travail de l’histoire (5). Pour lui donner plus de force, Paul Greengrass le réalisateur a fait participer le plus grand nombre d'habitants de Derry, mêlant des soldats de l'armée britannique, des anciennes victimes, des Républicains et des Nationalistes, et les forces spéciales irlandaises, chargées de la sécurité du plateau.
C'est par cars entiers qu’il a acheminé les gens de Derry pour tourner leur propre rôle, ce sont les descendants ou les témoins directs qui ont marché en foule de cinéma. “Après la fusillade, dans l'hôpital d'Altnagelvin, alors que les cadavres sont allongés dans leur sang à même le sol et que les paras armés parcourent les couloirs, le film nous montre des dizaines de familles, agrippées les unes aux autres dans la souffrance. Ces figurants tragiques sont tous de Derry, beaucoup sont les parents des morts et des blessés du dimanche sanglant. Trente ans plus tard, ils ont demandé à être là, ensemble, pour dire publiquement leur douleur. Voilà pourquoi ces larmes ne sont pas vraiment des larmes de cinéma” (6). Le réalisateur n’est pas neutre et pour lui la responsabilité de l’armée ne fait pas de doute mais l’enquête qui suivit (réouverte ensuite) a blanchi l’armée et aucune sanction n’a jamais été prise à l’égard des officiers britanniques responsables de l’opération. Après le massacre, en regard des scènes autour des morts à l’hôpital où une communauté se soude et construit une page de son histoire, le film montre simultanément le travail à chaud fait par l’autorité militaire, il faut stabiliser vite un récit qui renvoie la faute sur l’IRA, les soldats qui ont tiré parlent, déchargent leurs émotions et malgré les conflits bien visibles entre les parachutistes qui ont ouvert le feu et certains militaires, toute l’armée refait corps, dans un exercice collectif d’auto persuasion. Les journalistes sont pris à partie, la suite de l’histoire dépendra aussi de la nature de leurs témoignages. Le film se termine par le constat d’une défaite, celle de l’idéalisme et du pacifisme, la violence entraînant la violence. Ivan Cooper lors de la conférence de presse de fin, prononce une phrase d’une vérité terrible “que le gouvernement britannique a pavé le chemin et a donné la victoire à I’IRA”, en créant un tel massacre, des centaines de jeunes se pressent pour rejoindre les rangs de l’IRA et prendre les armes. Il annonce ensuite les noms des victimes avec leur âge, cette liste devenue litanie, renvoie à l’idée du monument aux morts. Le film se termine avec la chanson, devenue culte, Sunday Bloody Sunday du groupe irlandais de rock, U2.
Shadow Dancer est le troisième film du présent cycle irlandais. Sorti en 2012, sa programmation permet de donner à voir un film contemporain sur la question politique irlandaise qui peut aussi s’analyser comme la suite de Bloody Sunday. Le prologue se passe en effet dans les années soixante-dix et l’action du film qui se déroule ensuite à Londres et surtout à Belfast en quatre-vingt-treize, est directement liée aux conséquences complexes de ce conflit sur deux, voire trois générations. Correspondant de guerre en Irlande du Nord pour la télévision dans les années 90, Tom Bradby, auteur du livre dont le film est tiré, a restitué l’univers des informateurs et des services secrets, éléments qu’il ne pouvait livrer en tant que journaliste à la période des faits. S’il s’agit d’un thriller politique, du fait de cet univers là, Shadow Dancer est aussi une immersion dans une famille de l’IRA où chacun est impliqué, vivant sans cesse sur le fil de sa propre mort ou de celle de ses proches. Les années 90 correspondent à une vague d’attentats perpétrés par l’IRA sur le territoire anglais, à Londres en particulier, c’est un des points centraux du film, celui qui explique l’arrestation de Collette qui négociera sa mise en liberté, contre le rôle d’informatrice au sein de sa propre famille de retour à Belfast. Nous sommes quelques années avant la signature de l’accord du Vendredi Saint, qui amis fin au conflit armé et le film donne aussi à voir les tensions au sein de l’IRA en particulier entre deux générations d’activistes, c’est particulièrement sensible dans la scène de l’enterrement. Le film révèle comment l’approche d’un compromis déstabilise grandement certains de ses membres, l’idéal politique se dérobe et la violence jusqu’alors subie ou dirigée vers l’ennemi de toujours se retourne en interne (torture, enlèvements, exécutions). L’enterrement révèle deux scènes, celle qui se déroule à l’intérieur, avec le cercle des proches et des rituels religieux très marqués, la seconde a lieu dans l’espace public, acte à la fois symbolique et politique.
La trahison est le thème central du film, mais le film ne suit pas la ligne de partage habituelle entre héros et traître, car trahir devient, notamment pour les femmes, une forme de résistance à la reproduction de la violence. Une des lignes de force du film tient à ce contre-stéréotype, le personnage principal, Collette, nous plonge dans le drame moral et psychologique, que ce conflit a particulièrement renvoyé aux femmes, elle est prise dans des situations de survie, à la fois impliquée par force dans ce cercle de la violence, et se forgeant une position qu’elle réussit à maîtriser pour elle-même et surtout pour son fils. En face, les services d’information britanniques et le personnage de Mac, pris lui même dans un jeu de force qui le dépasse. Ce n’est pas non plus un salaud, comme si la conscience progressive des manipulations au sein des services d’informations auxquels il appartient, lui ouvrait la possibilité de saisir l’idéal des Irlandais en lutte, la grâce, la beauté et l’intelligence du personnage de Collette n’étant pas neutre dans la fragilisation, ce qui lui sera fatal.
Le film se déroule pour une bonne part dans les espaces domestiques de la vie quotidienne, la cuisine, les chambres autant d’espaces contraints, et la cour arrière du pavillon d’un lotissement populaire donnant elle-même sur un espace ouvert créant une échappée possible au danger venu de la rue... Les scènes de rencontre régulières et programmées entre les deux personnages
principaux sont chaque fois une relance du suspense, (qui viendra et à quelle fin ?), elles se situent dans l’avant port de Belfast sur Queen’s Island, entre dunes et portes containers...
La trahison est le thème central du film, mais le film ne suit pas la ligne de partage habituelle entre héros et traître, car trahir devient, notamment pour les femmes, une forme de résistance à la reproduction de la violence. Une des lignes de force du film tient à ce contre-stéréotype, le personnage principal, Collette, nous plonge dans le drame moral et psychologique, que ce conflit a particulièrement renvoyé aux femmes, elle est prise dans des situations de survie, à la fois impliquée par force dans ce cercle de la violence, et se forgeant une position qu’elle réussit à maîtriser pour elle-même et surtout pour son fils. En face, les services d’information britanniques et le personnage de Mac, pris lui même dans un jeu de force qui le dépasse. Ce n’est pas non plus un salaud, comme si la conscience progressive des manipulations au sein des services d’informations auxquels il appartient, lui ouvrait la possibilité de saisir l’idéal des Irlandais en lutte, la grâce, la beauté et l’intelligence du personnage de Collette n’étant pas neutre dans la fragilisation, ce qui lui sera fatal.
Le film se déroule pour une bonne part dans les espaces domestiques de la vie quotidienne, la cuisine, les chambres autant d’espaces contraints, et la cour arrière du pavillon d’un lotissement populaire donnant elle-même sur un espace ouvert créant une échappée possible au danger venu de la rue... Les scènes de rencontre régulières et programmées entre les deux personnages
principaux sont chaque fois une relance du suspense, (qui viendra et à quelle fin ?), elles se situent dans l’avant port de Belfast sur Queen’s Island, entre dunes et portes containers...
Une paix fragile
En 1998, le gouvernement britannique reconnait pour la première fois le principe de l’île dans son ensemble, et la possibilité que les problèmes entre le nord et le sud de l’Irlande puisse se résoudre par consentement mutuel, sans intervention extérieure. L'accord des nationalistes et des unionistes établit en Irlande du Nord un gouvernement “consociatif”, composé obligatoirement d'unionistes, de nationalistes et d’indépendants. l'Irlande du Nord demeure néanmoins britannique. Quatre mois après le traité de paix du Vendredi Saint un attentat à la voiture piégée mené par un groupe dissident de l'IRA opposé à l'accord a eu lieu à Omagh dans le comté de Tyrone en Irlande du Nord. L'explosion fit 29 morts et environ 220 blessées.
Des murs dits de la paix (Peace Walls, Peace Lines), séparations construites pour la plupart à Belfast pour séparer les quartiers catholiques des quartiers protestants de la ville et limiter les violences entre ces deux communautés, prouvent la fragilité de l’accord (99 murs à Belfast). Si certains datent de l'époque du conflit nord irlandais des années 60, d’autres sont bien plus récents, et ont été construits, rallongés ou rehaussés ces dernières années.
Conforté par un système scolaire majoritairement basé sur la séparation des communautés, la division de Belfast reste un élément clé de la structure de la ville. L’organisation spatiale de la ville a en effet épousé les territoires confessionnels enclavés et encore aujourd’hui l’absence de représentations communes fait obstacle au partage de l’espace public. Depuis 2007, les deux principaux partis - l'un unioniste, l'autre républicain - forment une coalition, mais avec peu de participation issue des classes populaires. De plus, l’affichage de la violence demeure dans les quartiers populaires : les murs, les drapeaux, les symboles religieux, les murals, les barbelés, la présence policière... En décembre 2012, de nouvelles violences ont eu lieu et les quartiers Est de Belfast connaissent des échauffourées quotidiennes, et ce depuis que la mairie de Belfast a décidé de ne plus faire flotter quotidiennement le drapeau britannique à son fronton. Mais cette question politique se réactive sur fond de crise socio-économique, les traditionnels emplois des chantiers navals ont disparu depuis longtemps et les chiffres du chômage se sont envolés.
Des murs dits de la paix (Peace Walls, Peace Lines), séparations construites pour la plupart à Belfast pour séparer les quartiers catholiques des quartiers protestants de la ville et limiter les violences entre ces deux communautés, prouvent la fragilité de l’accord (99 murs à Belfast). Si certains datent de l'époque du conflit nord irlandais des années 60, d’autres sont bien plus récents, et ont été construits, rallongés ou rehaussés ces dernières années.
Conforté par un système scolaire majoritairement basé sur la séparation des communautés, la division de Belfast reste un élément clé de la structure de la ville. L’organisation spatiale de la ville a en effet épousé les territoires confessionnels enclavés et encore aujourd’hui l’absence de représentations communes fait obstacle au partage de l’espace public. Depuis 2007, les deux principaux partis - l'un unioniste, l'autre républicain - forment une coalition, mais avec peu de participation issue des classes populaires. De plus, l’affichage de la violence demeure dans les quartiers populaires : les murs, les drapeaux, les symboles religieux, les murals, les barbelés, la présence policière... En décembre 2012, de nouvelles violences ont eu lieu et les quartiers Est de Belfast connaissent des échauffourées quotidiennes, et ce depuis que la mairie de Belfast a décidé de ne plus faire flotter quotidiennement le drapeau britannique à son fronton. Mais cette question politique se réactive sur fond de crise socio-économique, les traditionnels emplois des chantiers navals ont disparu depuis longtemps et les chiffres du chômage se sont envolés.
Notes
1. Pour le paragraphe introductif, voir “Dublin” de Laura Rascaroli, in La ville au cinéma, encyclopédie sous la direction de Th. Jousse et Th. Paquot, Cahiers du Cinéma, Ministère de la Culture, 2005.
2. Cf. “Ecrire la ville irlandaise au cinéma”, d’Isabelle Le Corff, IUFM de Bretagne.
3. Les travellers (le peuple marchant) sont aussi appelés Tinkers, c'est à-dire “rétameurs” (de l'anglais tin : étain), en raison de l'artisanat traditionnel auquel ils se livraient autrefois ; leur nombre est évalué en Irlande à 25 000.
4. Dès la fin des années 60, le quartier connait des tensions avec les protestants loyalistes vivant aux alentours du quartier. Dès 1969, les catholiques décident de faire du Bogside une enclave autonome baptisée “Free Derry”, une émeute éclate le 12 août 1969, opposant loyalistes aux républicains : la Bataille du Bogside, d’autres villes d’Irlande du Nord vont ensuite s’embraser avec pour modèle la ville de Derry. La marche pacifique du 30 janvier 1972 est la suite de cette histoire. Le quartier est aujourd’hui connu pour ses fresques murales peintes durant l’époque des “Troubles”.
5. Nous renvoyons ici au travail d’Amélie Nicolas, chercheuse au LAUA, en particulier son DEA sur la Commune de Paris. Elle analysait l’exemple du film de Peter Watkins, La Commune. Paris. 1871, (2003), mobilisant des Parisiens d’origines géographiques, sociales et politiques différentes pour interpréter les Versaillais et les Communards créant un processus comparable sur une lutte franco-française qui s’est terminée dans le sang.
6. Sorj Chalandon, Libération 30 octobre 2002
7. Cf. “A l'ombre des ‘murs de la honte’ de Belfast”, Charlotte Chabas, in Le Monde.fr, 30/01/2012
8. Cf. l’article de Florine Ballif : “Belfast : vers un urbanisme de paix ? les recompositions spatiales au sortir de la guerre civile” ,In Les Annales de la recherche Urbaine, n. 91, décembre 2001 : Villes et guerres (consultable en ligne à partir du site de la revue).
9. Cf. Eric Albert, “Une paix fragile en Irlande du Nord”, Le Monde, 18.01.2013
2. Cf. “Ecrire la ville irlandaise au cinéma”, d’Isabelle Le Corff, IUFM de Bretagne.
3. Les travellers (le peuple marchant) sont aussi appelés Tinkers, c'est à-dire “rétameurs” (de l'anglais tin : étain), en raison de l'artisanat traditionnel auquel ils se livraient autrefois ; leur nombre est évalué en Irlande à 25 000.
4. Dès la fin des années 60, le quartier connait des tensions avec les protestants loyalistes vivant aux alentours du quartier. Dès 1969, les catholiques décident de faire du Bogside une enclave autonome baptisée “Free Derry”, une émeute éclate le 12 août 1969, opposant loyalistes aux républicains : la Bataille du Bogside, d’autres villes d’Irlande du Nord vont ensuite s’embraser avec pour modèle la ville de Derry. La marche pacifique du 30 janvier 1972 est la suite de cette histoire. Le quartier est aujourd’hui connu pour ses fresques murales peintes durant l’époque des “Troubles”.
5. Nous renvoyons ici au travail d’Amélie Nicolas, chercheuse au LAUA, en particulier son DEA sur la Commune de Paris. Elle analysait l’exemple du film de Peter Watkins, La Commune. Paris. 1871, (2003), mobilisant des Parisiens d’origines géographiques, sociales et politiques différentes pour interpréter les Versaillais et les Communards créant un processus comparable sur une lutte franco-française qui s’est terminée dans le sang.
6. Sorj Chalandon, Libération 30 octobre 2002
7. Cf. “A l'ombre des ‘murs de la honte’ de Belfast”, Charlotte Chabas, in Le Monde.fr, 30/01/2012
8. Cf. l’article de Florine Ballif : “Belfast : vers un urbanisme de paix ? les recompositions spatiales au sortir de la guerre civile” ,In Les Annales de la recherche Urbaine, n. 91, décembre 2001 : Villes et guerres (consultable en ligne à partir du site de la revue).
9. Cf. Eric Albert, “Une paix fragile en Irlande du Nord”, Le Monde, 18.01.2013
Projets urbains en Irlande
À l’ensa Nantes depuis 2010, l’atelier de projet “Villes en mutation/Changing cities” se focalise sur L’Irlande. L’enseignement du projet se bâtit à partir d’une recherche socio-urbaine in situ portant sur l’interface entre la population locale et les infrastructures, le paysage et l’architecture des lieux. Cette étude aboutit à la programmation et la conception architecturale d’un équipement public (ou communautaire). Après la banlieue de Dublin, puis la ville de Limerick, Belfast a fait l’objet de ce regard singulier et multiple cette année. Les trois villes explorées concentrent un nombre important de problèmes socio-économiques : un chômage massif, une pauvreté très répandue, une forte concentration de logements sociaux, des services locaux sous-développés, des habitants très isolés voir ségrégués, etc. Belfast est de plus une ville très marquée par son histoire traumatique où, très clairement, les violences ont participé à façonner la fabrique urbaine. Cette condition, que l’on peut qualifier de “trauma urbain”, est au cœur du questionnement de l’atelier et est également très visible dans les films choisis. La programmation des ces trois films récents, deux qui se passent en Irlande de Nord et l’autre dans les faubourgs de Dublin, permet un prolongement et un enrichissement de l’exploration débutée dans l’atelier.
Texte publié à l'occasion de la programmation "Condition Métropolitaine Filmée" 2013 du LAUA