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Archives 2001-2011

LA CAMPAGNE DE PROVENCE


de Jean-Louis Comolli



PROGRAMMATION AVRIL 2007

France, 1992, 1h32, documentaire

Régionales 1992. L’offensive du Front National en Provence – Alpes – Côte d’Azur se fait alors avant tout sur le terrain du langage. Jean-Louis Comolli et Michel Samson ont filmé en public, dans l’action militante, ce qui était le plus insaisissable : la circulation des mots qui font tache et qui font mal. C’était le temps où de hautes autorités politiques qui n’étaient pas lepénistes parlaient à propos de ceux qui venaient du Sud, d’ ''invasion'' et d’ ''odeurs''

« Faut-il, pour le combattre, filmer le Front National ? Comment ? À quel prix, à quels risques ? Beaucoup de choses ont changé en Europe et en France, mais avant tout, pour moi, c’est la place du Front National dans la vie politique française qui a changé. ''Banalisation'', dit-on. Occupation progressive du pays, dirais-je plutôt. Pas seulement dans les têtes, mais dans l’espace et le temps, la géographie et l’histoire, les institutions et les entreprises, le langage et les logiques. Tout se passe comme si le FN faisait de moins en moins peur. Et que cette peur fasse de moins en moins mal. (…) S’il y a (je le crois) un usage politique du cinéma et spécialement du cinéma documentaire, s’il est vrai (je le crois) qu’avec le cinéma, art du corps, du groupe et du mouvement, il devient enfin possible de traiter la scène politique selon une esthétique réaliste, la ramenant de la sphère du spectacle sur la terre des hommes, comment les choix d’écriture ne diraient-ils pas quelque chose des enjeux de la période ? Et le dispositif filmique, du sens que prend ou retrouve cette scène politique rematérialisée et réincarnée ? ''Filmer politiquement'', ce serait déjà se servir du cinéma pour comprendre le moment politique où l’on filme. (…) Gardanne. Le Pen parcourt à grands pas le marché, souriant, tout à ses admirateurs. Près de lui, un garde du corps qui, pour le protéger, le frôle. Le Pen sursaute, un rictus de violence saisit son visage. ''Je t’ai dit de ne pas me toucher ! Je n’aime pas qu’on me touche comme ça !'' Filmés, ce geste et cette parole phobiques ouvrent soudainement sur l’autre scène qui menace, derrière les sourires et la bonhomie. Quelque chose ici s’inscrit du rapport de l’idée politique et du corps politique, rapport que seul le cinéma peut avérer et déplier. Dès qu’il s’incarne et se représente, un pouvoir devient sa propre caricature. Il n’est pas besoin de forcer le trait, il se force tout seul. L’ombre se déplace en même temps que la lumière. C’est ce que j’ai toujours cru du pouvoir filmé. Un gant qui se retourne. On voit les coutures, l’écorché. »
Jean-Louis Comolli, Traffic n°24, 1997

SEANCE UNIQUE

dimanche 22 avril à 18h30