HOMMAGE À MICHEL LEGRAND • JUIN - JUILLET 2019
France, RFA, 1964, 1h31
avec Catherine Deneuve, Nino Castelnuovo, Anne Vernon
À partir de 8 ans
NUM, version restaurée
avec Catherine Deneuve, Nino Castelnuovo, Anne Vernon
À partir de 8 ans
NUM, version restaurée
Geneviève et Guy s’aiment mais le service militaire s’annonce, c’est à dire la guerre d’Algérie... On a tout dit du charme amer de ce qui commence comme une bluette et tourne à l’aigre pour la vie mais il faut se représenter la formidable audace de ce film à l’époque, au delà de son sujet. On sait les hésitations de Jacques Demy et Michel Legrand avant de choisir la formule, inédite, du film entièrement "en chanté" qui fut raillée mais s’imposa. On reste admiratif devant l’impression de facilité et de grâce qui s’en dégage alors que le film, préenregistré, était à moitié fini avant le tournage, que la musique commandait un jeu et des déplacements au dixième de seconde près. Et comment Jacques sut répondre en couleurs aux notes de Michel...
"Après avoir lu le script trois fois, je me dis : « Comme dans Lola, il y a dans le sujet et les dialogues une dimension profondément musicale. Cette fois-ci, Jacques ne doit pas abdiquer il doit aller jusqu’au bout. » Il se rallie à mon point de vue. Nous nous mettons d’accord sur le principe de faire chanter uniquement certaines situations-clés, comme la séparation des amants sur le quai de la gare. Pendant dix jours de mise en loge, j’essaye avec Jacques de trouver des thèmes pour nos passages chantés. Échec total. Rien ne fonctionne : la jointure entre le parlé et le chanté nous semble artificielle, proche de l’anomalie. Les spectateurs risquent de se demander : « Les personnages parlaient, pourquoi brusquement chantent-ils ? ». Ou dans l’autre sens : « Mais pourquoi cessent-ils donc de chanter ? » Après réflexion, Jacques en arrive au constat suivant : « Michel, puisque cette transition parlé-chanté nous gêne, faisons le film soit entièrement parlé, soit entièrement chanté. » Je saisis la balle au bond : « Essayons plutôt tout chanté. On n’a jamais tourné un long-métrage ou le chant se substitue intégralement à la parole. Si on y arrive, ce serait un musical d’un genre nouveau ! » On se met à parler esthétique, on se dit que l’idée de réalisme est essentielle. Ou du moins l’idée de réalisme transposé. Il faut éviter le côté opératique, les débordements de lyrisme. L’intention est d’avoir un tempo chanté le plus près possible de la parole, avec les mêmes attentes et précipitations que dans le langage quotidien. D’autant que les personnages sont des gens simples : un garagiste, une mère et sa fille qui tiennent un magasin de parapluies, un diamantaire. (...) Ensemble, nous essayons de trouver des thèmes fonctionnant le mieux possible avec les lyrics. Comme la musique a des exigences rythmiques et métriques très précises, il arrive qu’un thème ne puisse pas complètement épouser les paroles. Alors Jacques adapte, allonge ou rabote son texte en fonction de mes notes. Nous ne créerons jamais rien l’un sans l’autre… À cette étape, Demy a déjà en tête une mise en scène virtuelle. Parfois, il me précise : « Là Michel, on doit laisser Cassard marcher dans la pièce avant qu’il avoue à Madame Émery son amour pour Geneviève ; là il faut que tu me laisses le temps de finir mon travelling. » Voilà l’originalité des Parapluies de Cherbourg : la musique fait partie intégrante de l’écriture cinématographique." (J'ai le regret de vous dire oui, Michel Legrand / Stéphane Lerouge, éditions Fayard)
"Après avoir lu le script trois fois, je me dis : « Comme dans Lola, il y a dans le sujet et les dialogues une dimension profondément musicale. Cette fois-ci, Jacques ne doit pas abdiquer il doit aller jusqu’au bout. » Il se rallie à mon point de vue. Nous nous mettons d’accord sur le principe de faire chanter uniquement certaines situations-clés, comme la séparation des amants sur le quai de la gare. Pendant dix jours de mise en loge, j’essaye avec Jacques de trouver des thèmes pour nos passages chantés. Échec total. Rien ne fonctionne : la jointure entre le parlé et le chanté nous semble artificielle, proche de l’anomalie. Les spectateurs risquent de se demander : « Les personnages parlaient, pourquoi brusquement chantent-ils ? ». Ou dans l’autre sens : « Mais pourquoi cessent-ils donc de chanter ? » Après réflexion, Jacques en arrive au constat suivant : « Michel, puisque cette transition parlé-chanté nous gêne, faisons le film soit entièrement parlé, soit entièrement chanté. » Je saisis la balle au bond : « Essayons plutôt tout chanté. On n’a jamais tourné un long-métrage ou le chant se substitue intégralement à la parole. Si on y arrive, ce serait un musical d’un genre nouveau ! » On se met à parler esthétique, on se dit que l’idée de réalisme est essentielle. Ou du moins l’idée de réalisme transposé. Il faut éviter le côté opératique, les débordements de lyrisme. L’intention est d’avoir un tempo chanté le plus près possible de la parole, avec les mêmes attentes et précipitations que dans le langage quotidien. D’autant que les personnages sont des gens simples : un garagiste, une mère et sa fille qui tiennent un magasin de parapluies, un diamantaire. (...) Ensemble, nous essayons de trouver des thèmes fonctionnant le mieux possible avec les lyrics. Comme la musique a des exigences rythmiques et métriques très précises, il arrive qu’un thème ne puisse pas complètement épouser les paroles. Alors Jacques adapte, allonge ou rabote son texte en fonction de mes notes. Nous ne créerons jamais rien l’un sans l’autre… À cette étape, Demy a déjà en tête une mise en scène virtuelle. Parfois, il me précise : « Là Michel, on doit laisser Cassard marcher dans la pièce avant qu’il avoue à Madame Émery son amour pour Geneviève ; là il faut que tu me laisses le temps de finir mon travelling. » Voilà l’originalité des Parapluies de Cherbourg : la musique fait partie intégrante de l’écriture cinématographique." (J'ai le regret de vous dire oui, Michel Legrand / Stéphane Lerouge, éditions Fayard)
Séances • Juin - juillet 2019
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