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Murnau live(s)


par Wilfried Thierry



Simple retour en arrière ou vrai renouvellement : les ciné concerts, pourquoi, comment.

L'Homme à la caméra
À ses débuts, le cinéma était muet (ou sourd selon Michel Chion : il y avait des paroles et des bruits, mais on ne les entendait pas (1)), il était impossible d’enregistrer du son synchronisé à l’image et afin de ne pas rendre le spectacle trop solennel, des musiciens venaient souvent apporter un habillage sonore au cours des projections, enchaînant morceaux populaires ou classiques, les compositions originales étant loin d’être la règle. On a également vu des personnes commenter et bruiter en direct les films, mais cette pratique qui a duré au Japon n’a pas eu beaucoup de retentissement en France. Comme nous pouvons le constater la pratique des ciné-concerts remonte à l’origine du cinématographe et découle de ses contraintes techniques. Les habitudes ont dû jouer un rôle important dans le fait que les films furent sonorisés, on peut en effet supposer que les autres spectacles (théâtre, opéra, cirque…) étant sonores, le public se serait difficilement contenté des images avec ce nouveau medium. Au début des années trente le son synchronisé apparaît dans les salles (Le chanteur de jazz, 1927 est considéré comme le premier film sonore) et ainsi les films muets vont (presque) disparaître petit à petit et avec eux les projections avec musiciens en direct.


(1) Un art sonore, le cinéma - Michel Chion - ed. Cahiers du cinéma




Aujourd’hui les musiciens réapparaissent dans nos salles de cinéma pour y interpréter leur musique en direct, alors que la contrainte technique n’existe plus depuis longtemps et que les copies des films muets sont maintenant dotées de son synchronisé. Il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer ce phénomène et je me permets de proposer des pistes de réflexions plutôt que des réponses définitives.
Tout d’abord, on a pu constater dans les pratiques artistiques contemporaines la croissance d’œuvres et travaux faisant appel à plusieurs media en les mélangeant, les faisant interagir ; pratiques que l’on a observé depuis trop peu de temps pour s’accorder sur un terme : trans-disciplinarité, inter-disciplinarité, mix-media, multi-media… Il s’agit assez souvent de réunir des artistes représentants différentes disciplines pour travailler sur un projet commun mélangeant leurs techniques ; je pourrais citer en exemple un spectacle réunissant Zonk’t (musique assistée par ordinateur), danseuses du CNDC (centre national de danse contemporaine) et vidéastes de l’art du mouvement, dans lequel les trois media communiquent pour aboutir à une œuvre homogène. Depuis quelques années, cette tendance s’est tellement développée que l’on pourrait presque parler de phénomène de mode.
Un deuxième phénomène pouvant expliquer ce retour (s’agit-il vraiment d’un retour ?) au ciné-concert serait à chercher du côté des musiques ayant recours à des instruments électroniques (à l’instar de Kim Cascone, j’éviterai de parler de musique électronique (2)). Les outils électroniques offrent un spectacle visuel moins démonstratifs que les instruments acoustiques et électriques et laissent souvent le spectateur perplexe (quand il ne s’agit pas de musique à danser, puisque dans ce cas-là le public… danse et ne se préoccupe donc pas du rendu scénique des musiciens).


(2) Laptop Music - Counterfeiting Aura in the Age of Infinite Reproduction in Parachute n°107




La musique se retrouve donc dans le schéma exactement contraire à celui du cinéma des débuts : du son et pas d’image. Une des solutions les plus répandues pour palier à ce manque a été de coupler un visuel vidéo aux prestations live des musiciens ; il devient donc compréhensible que les deux media finissent par se rencontrer. On peut donc comprendre que la possibilité de jouer avec en visuel un chef d’œuvre de cinéma et proposer au public un cadre confortable a séduit nombre de formations musicales habituées à jouer avec de la vidéo sur scène (formations qui se sont très vite élargies au-delà du champ des musiciens utilisant des instruments électroniques).
Pour finir, on peut penser que pour des cinéphiles n’ayant pas vécu le début du cinéma, le ciné-concert est un moyen de revivre cette période, de retrouver la sensation d’aller à une véritable représentation, différemment certes et en l’envisageant de façon contemporaine. La raison pour laquelle j’hésitai à parler de retour réside dans le fait que le ciné-concert contemporain n’est pas issu d’une nécessité et qu’il demande dans un premier temps de déconstruire ce que le temps a fait. On peut aller jusqu’à dire que cette pratique a divisé le cinéma en deux, créant ainsi deux formes à cet art : le cinéma sono-synchronisé (cinéma dont la piste sonore est synchronisée au film) et le cinéma sonorisé (dont le son est créé en direct). Ce qui va permettre, non pas d’essayer de reproduire le plus fidèlement possible ce qui se déroulait au début du siècle à cause des contraintes techniques de l’époque, mais bel et bien en l’envisageant comme une pratique à part, une relecture et un prolongement. Le ciné-concert apparaît dès lors comme une forme nouvelle n’ayant jamais existé, puisqu’elle ne découle d’aucune nécessité et qu’elle vient d’un choix délibéré d’une sorte d’hybridation entre le cinéma et le concert.

L’émergence des ciné-concerts semble donc assez naturelle, puisqu’elle résulterait de la simultanéité de plusieurs évènements ; mais on ne pourra parler de transdisciplinarité avec cette pratique puisqu’elle n’est pas issue de la volonté des artistes de chacun des deux domaines.
Le choix artistique ne découle (malheureusement ?) que d’un choix unilatéral, celui du (des) musicien(s), les films choisis datant souvent du début du siècle. S’ensuit donc un dialogue entre un (des) artiste(s) et une œuvre et non pas entre des artistes d’horizons différents qui construiraient une œuvre ensemble (cette pratique appartenant davantage au cinéma sono-synchronisé). On pourra m’objecter qu’il existe des exceptions, mais elles sont rares. Les musiciens vont donc devoir adapter leur univers à une œuvre finie, en essayant soit de s’y adapter soit de la faire plier sous leur relecture (on sait à quel point le son peut changer le sens d’une scène). De ce fait, des problèmes peuvent apparaître avec des films sonores proposés en ciné-concert pour lesquels le(s) musicien(s) v(a)(ont) faire disparaître tout ou partie de la bande son originale ; en effet, cet exercice, qui peut être passionnant, peut se révéler périlleux, et pourra déplaire au mieux à un fan inconditionnel de la bande-son originale, au pire à l’auteur du film lui-même.
Quel que soit le choix du film et de la démarche, la musique devra se mettre au service de l’image, car celle-ci ne pourra être modifiée pour se plier aux exigences de la bande son. De plus, la musique devra prendre forme sans effet de scène : lors de la projection, la salle est plongée dans le noir et un solo à genoux ou un superbe déhanché du bassin ne seront d’aucun secours si les compositions souffrent d’une quelconque vacuité. Cette création devra se fondre dans un tout audio-visuel, se faire discrète pour ne pas disparaître dans une rivalité avec le film ; en effet, si le spectateur est trop souvent ramené à la réalité du dispositif (de la musique ET de l’image en mouvement), il risque d’échapper à l’essence de la représentation audiovisuelle. Ainsi, je n’ai jamais assisté à un ciné-concert dans lequel un des musiciens était chanteur(se), l’exercice étant relativement difficile puisque l’œil du spectateur est souvent attiré par la provenance d’une voix, je reste néanmoins curieux de voir un jour une telle prestation.
L’autre difficulté va être de synchroniser la musique ; lors d’un concert normal la durée d’un morceau peut varier d’une représentation à l’autre, cela devient beaucoup plus difficile avec des images en mouvement déjà montées. Le problème reste le même que précédemment : se fondre dans l’œuvre. Le tout n’étant pas de définir une durée précise et un morcellement du film pour y coller quelques compositions ; mais bel et bien de les enchaîner harmonieusement, de créer un suivi sur la longueur du film, il n’y aura ici ni applaudissements ni remerciements pour combler un silence entre chaque partie musicale, les enchaînements et les silences doivent être prévus, travaillés, comme faisant partie de la composition. La représentation commence lorsque la salle est plongée dans le noir et se termine lorsque la lumière se rallume (moment auquel j’ai vu le public applaudir alors que les dernières notes n’étaient pas encore terminées), entre ces deux moments tout fera partie de la représentation.

La dernière question à se poser est de savoir ce qui attire le public dans ces prestations. Une fois de plus, il s'agit de pistes de réflexion, mais en aucun cas d'une liste exhaustive.
Tout d’abord, le ciné-concert permet de renouer avec une forme de spectacle cinématographique inédite pour ceux qui n’ont pas connu le début du XXe siècle ; nous sommes issus d’une génération pour laquelle le cinéma n’a jamais été une nouveauté, nous y sommes habitués sous sa forme sono-synchronisée, ces concerts nous permettent d’envisager les films et leur diffusion sous un aspect nouveau, de mélanger les plaisirs entre des musiciens qui nous sont contemporains et dont nous apprécions le travail et des cinéastes dont l’œuvre nous touche mais que nous n’avons jamais rencontrés. Il est tout de même à noter que le public semble majoritairement composé de personnes venant à la base pour la musique plus que pour le film (j’entends par là qu’il semble y avoir plus de personnes aimant la musique et ne connaissant pas le film qui se déplacent que le contraire). Dans tous les cas, et quelle que soit la motivation du spectateur, le ciné-concert est un formidable outil de découverte, qui permet à des personnes de découvrir des musiciens ou des films qu’ils n’auraient peut-être pas connu autrement.
En discutant avec un ami, je me suis également aperçu qu’il pouvait exister un attrait dû à la curiosité. "Qu’ont-ils fait de ce film ?" Effectivement lorsque l’on connaît une œuvre cinématographique, ces spectacles sont une opportunité de redécouvrir une œuvre. Le danger étant de ne pas être en accord avec la lecture qu’en aur(a)(ont) fait le(s) musicien(s). Il n’en reste pas moins que d’une façon ou d’une autre l’expérience sera enrichissante car elle nous permet de confronter notre lecture à celle d’un autre via un outil non plus critique mais artistique.
Pour le public de musiques actuelles, le confort d’une salle de cinéma peut également être un avantage indéniable. En effet, nous avons été habitués à assister aux concerts de musiques actuelles debout, dans la fumée des cigarettes et les vapeurs de bières, en se munissant de boules quiès pour éviter la surdité. De surcroît, ces séances permettent d’écouter vraiment la musique sans se laisser distraire par les inconforts cités précédemment qui nuisent parfois, et même souvent lorsqu’il s’agit de musiques plus calmes ou ambiantes. Le ciné-concert devient donc aussi une possibilité d’écouter tranquillement une musique que nous avions été habitués à entendre dans des conditions autres.
Néanmoins, dans tous les types de ciné-concerts (musicalement parlant j’entends) le public peut renouer avec quelques plaisirs disparus. Tout d’abord, la possibilité d’applaudir à la fin d’une séance, chose qui ne se voit plus guère que lors des festivals et que je regrette souvent, n’ayant aucun moyen d’exprimer mon sentiment à l’égard d’un film. Et si justement le public applaudit (généralement !) à la fin d’un ciné-concert c’est parce qu’il est en présence d’un artiste et que même si le réalisateur du film est absent, l’œuvre est humanisée par la présence des musiciens. Cette présence donne une valeur supplémentaire, de singularité que le public apprécie en général. Public qui va d’ailleurs croissant, ce qui nous montre à quel point cette formule intéresse ; il nous reste à souhaiter que cela se développe et permette à un public plus nombreux de découvrir ces séances.

Ma réflexion est basée sur le travail de l’association bulCiné à Nantes qui a organisé plusieurs ciné-concerts ces dernières années et auxquels j’ai souvent assisté ou participé. Je remercie donc l’association bulCiné pour son travail et plus particulièrement Emmanuel Gibouleau.

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