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RÊVE DE FRANCE À MARSEILLE


de Jean-Louis Comolli



PROGRAMMATION MAI 2007

France, 2003, 1h44, documentaire

Mars 2000, Marseille, France. La campagne des municipales s’ouvre dans une ambiance de régression politique, notamment pour ce qui est de la place des enfants de l’immigration au conseil municipal. En s’attachant au cas particulier de Tahar Rahmani, conseiller PS grossièrement éjecté des listes, Jean-Louis Comolli et Michel Samson donnent à voir une face des faux-semblants et de l’hypocrisie politique à la française.


« En juin 1999, Jean-Claude Gaudin organise une grande fête populaire, "la Massalia", pour exalter toutes les communautés qui font Marseille et manifester l’envie de milliers de gens venus d’ailleurs de se montrer Marseillais. Radieux arc-en-ciel. Moins d’un an plus tard, mars 2000, commence la campagne des municipales, la troisième pour nous : qu’en est-il de ce nouvel esprit qui semble souffler sur la vie politique marseillaise, trouve-t-il une traduction dans la sphère politique ? Combien d’enfants de l’immigration récente, celle qui gêne, on veut parler de l’immigration arabe, figureraient en position éligible et seraient finalement élus parmi les 101 conseillers municipaux ? Marseille, ville phare des expérimentations politiques en France, nous dit-elle l’affaiblissement du racisme anti-arabe et la fin des exclusions ? L’affichage des fêtes, le ralliement des discours poussaient à l’optimisme. Les enfants de l’immigration candidats semblaient aussi assurés de leur coup: cette fois, l’intégration étant derrière eux et le mot même leur devenant insupportable, l’entrée en politique se ferait sans drame... »
Jean-Louis Comolli, Michel Samson, Rétrospective de la série, Centre Pompidou, novembre 2003

« Nous retrouvons la question : qu’en est-il du passage par la politique des Marseillais ex-migrants ? Du premier au dernier film, la forme du récit change ; il y avait deux scènes dans Marseille de père en fils, il n’y en a qu’une dans Rêves de France… La coupure est toujours active, mais ses acteurs cette fois sont dans la même histoire, organiquement liés dans le même film et non plus imposés par un geste arbitraire de montage. L’histoire politique n’écrit pas le même scénario à dix ans d’intervalle. Ce qui fait du cinéma documentaire un témoin du passage de la politique non seulement à travers les questions en jeu, mais par les modifications qu’induit ce passage sur les formes narratives. (…) Pour la première fois depuis que nous filmons la vie politique à Marseille et en Provence, aucune télévision, ni publique ni privée, n’a accepté d’accompagner le dernier volet de la série. (…) Nous tenions à la diffusion télé, Samson et moi, pour une raison essentiellement politique : que nos films soient présents là où ça se passe en grande partie – sur un écran de télé ; que ce soit là, sur le petit écran des infos et des magazines, que nous proposions à des spectateurs aléatoirement rassemblés une autre façon de faire jouer les corps politiques, une autre expérience politique que celle du "spectacle" auquel les télévisions tentent de nous habituer et dont elles veulent nous convaincre qu’il est la seule manière de "montrer" la vie politique. (…) Notre producteur, Paul Saadoun, a tenu bon, finançant sur ses fonds propres (une pratique rare) ce long tournage. Et c’est notre autre producteur, Gérald Collas, qui a trouvé avec l’INA les moyens du montage. »
Jean-Louis Comolli, Voir et pouvoir, Ed. Verdier, 2004

« Marseille continue de faire son cinéma. Septième volet de la série de documentaires consacrés par Jean-Louis Comolli à la cité phocéenne, Rêves de France à Marseille se veut le point d'orgue d'une édifiante expédition dans les coulisses politiques d'une ville effervescente. (…) Comolli boucle la boucle en s'intéressant aux municipales de 2001. C'est donc dans cette continuité qu'il convient d'appréhender cet ultime volet. Ici, il n'est plus question pour Comolli de faire entrer progressivement son spectateur dans son univers ensoleillé "avé l'accent". Toute démarche de familiarisation est ici exclue, car considérée comme acquise. Le titre l'annonce, d'ailleurs : Marseille n'est plus ici qu'un échantillon, qu'un élément révélateur d'une réalité plus grande, nationale. L'ouverture se fait donc brutale, chahutée par les rythmes endiablés du grand raout populaire de la Massalia. Ce sera l'un des rares bains de foule que s'autorisera la caméra de Comolli. Le reste se fait en apnée sous les lignes de flottaison, et l'on y respire mal. Austère, direct et dense, Rêves de France à Marseille s'impose d'emblée comme un film exigeant, dont il faut accepter le dispositif (alternance bancale de séquences sans commentaires à la Strip-Tease, d'interventions énergiques du charismatique Michel Samson et d'interviews-vérité) et le traitement (sans véritable mise en place, présentation des acteurs, ni repères clairs) sous peine d'être vite perdu en route. Cette austérité de forme est d'autant plus regrettable que Comolli aborde avec pertinence un sujet difficile, politiquement tabou et habituellement invisible. En prenant le cas particulier de Tahar Rahmani, et en décortiquant les rouages de sa maladroite mise à l'écart des listes municipales PS, le documentariste met en lumière le déséquilibre flagrant de représentation entre la population maghrébine et les hommes politiques issus de l'immigration (un cinquième de la population marseillaise est d'origine maghrébine, ce qui n'a évidemment rien à voir proportionnellement avec les quatre enfants de l'immigration sur 101 membres du conseil municipal). Mais plus loin que ce triste constat, intelligemment et clairement énoncé, Comolli parvient également à dresser, en quelques entretiens bien menés, un état des lieux inquiétant de l'évolution des positionnements politiques, annonciateur du 21 avril. Où l'on saisit dans toute sa cinglante évidence l'éloignement progressif de la gauche d'avec son électorat traditionnel (les milieux modestes et la jeunesse notamment), sa pernicieuse récupération par la droite, manière de comprendre a posteriori l’incapacité du PS à trouver un souffle nouveau après le séisme frontiste. »
Guillaume Massart, Film de Culte

« Pour cette élection du maire de Marseille, en 2001, Michel Samson – qui mène le cadre à sa suite, conduisant à la fois l'enquête et l'image sur les lieux du travail politique – déclare nettement son parti pris en faveur d'une représentation claire, par les listes mêmes, des différentes populations de la ville. Notamment, il se déclare pour que l'importante population immigrée soit représentée sur les listes électorales par des personnalités issues de l'immigration. Mais il se déclare, en fait, d'autant plus que le reportage le confronte rapidement au problème de l'éviction du conseiller municipal socialiste sortant, Tahar Rahmani. Ainsi, le parcours du journaliste se trouve peu à peu – comme celui d'un héros de fiction – aimanté par le suspens d'une question qu'il pose et à laquelle personne ne semble vouloir répondre parmi les membres de la ''gauche plurielle'' de l'époque : ''Où est donc passé Tahar Rahmani ?''. Parallèlement, l'assurance du cadre à se poser ici ou là, à composer régulièrement dans la ville des plans de pure contemplation pendant lesquels la musique jazz remplace la parole, installe l'idée d'une musicalité de la cité qui improvise sans cesse les conditions de son équilibre. Et c'est peut-être là qu'il faut chercher un passage vers le plus grand engagement et vers une portée politique conséquente du film, dépassant la simple information sur le fonctionnement, les travers, les jeux d'influence et les différents types de langues de bois pratiquées à l'intérieur des partis. Car si les jeux sur les mots permettent au scénario de rebondir et aux listes électorales d'accueillir à nouveau Tahar Rahmani avant la fin de la campagne, ils apparaissent à la fois suffisants dans la bouche de ceux qui les prononcent et largement insuffisants pour qui se met à y chercher du sens. Dès lors qu'à ces professionnels de la parole et de la représentation que sont les politiques, la mise en scène littérale du processus démocratique menée par Comolli et Samson oppose la parole de ceux qui veulent être représentés parce qu'ils en ont besoin, la parole du peuple opprimé, celle par exemple des minorités comoriennes ou maghrébines, les prouesses rhétoriques, au mieux, deviennent bouffonnes. Le fait est que ce sont justement ces plans de contemplation, cadrant un fragment parfois abstrait de ville, le bord d'un immeuble découpé sur le ciel bleu, un abribus, l'entrée d'un collège encombrée d'enfants, qui font le lien d'une parole à l'autre. De celle souvent creuse des représentants élus – de droite comme de gauche – à celle extrêmement dense des représentés – là encore, de droite comme de gauche. Et c'est dans la beauté de cette parole populaire longuement préparée qui se donne à l'écoute publique, que la rhétorique politicienne trouve encore un peu de légitimité dans le film. La période est telle, en effet, que ce sont les représentés, dans leur besoin d'être représentés, leur besoin de politique, qui ont seuls, face à la caméra, un véritable discours politique. Les représentants, quant à eux, oscillent entre la tartufferie d'un Jean-Claude Gaudin déclamant sur Radio Gazelle un poème de son cru à la gloire de Marseille : ''Marseille, c'est comme Alger…'', à celle d'un Jean-Noël Guérini évoquant d'insolubles problèmes physiques que lui posent sa fonction : ''Soyons clairs, dans une bouteille de deux litres je ne peux pas mettre trois litres d'eau…''. »
Hélène Raymond, Fluctuat.net



SEANCES

jeudi 24 mai à 21h
samedi 26 mai à 10h30
mardi 29 mai à 19h

SAMEDI 26 MAI À 10:30 • SÉANCE SUIVIE D’UNE RENCONTRE AVEC JEAN-LOUIS COMOLLI