LA LOI DU GENRE

Route One USA


de Robert Kramer



LOI DU GENRE • OCTOBRE 2016

France, 1989, 4h15, VOSTF, documentaire

Après dix ans d’exil pour faire des films en Europe, Robert Kramer revient aux États-Unis, où il fut naguère une figure majeure de la contre-culture et du cinéma indépendant. Pendant six mois, caméra à l’épaule, il entreprend un étonnant retour aux sources, descendant la route numéro 1 qui sur 5000 kilomètres, longe la côte atlantique de la frontière canadienne jusqu’à la pointe de la Floride, là où se condensent toutes les strates de l’Histoire américaine.

"Dans Route One/USA, qu'il tourne entre 1987 et 1988, le cinéaste Robert Kramer rentre chez lui après dix ans d'absence et, plutôt que de rester à New York et de chercher d'emblée un point de chute, parcourt en quatre heures de film les quatre mille kilomètres qui séparent Fort Kent dans le Maine de Key West, en Floride, comme s'il voulait réapprendre son pays (cette "Route 1" ouverte en 1926, n'est-ce pas encore et toujours l'axe "New-York-Miami"?). La caméra documentaire de Kramer cale son pas sur Doc (Paul McIsaac), son alter ego de "fiction", et ensemble, avec la poésie de Whitman en tête pour se donner du courage (Song of the Open Road), redécouvrent d'abord un espace presque méconnaissable, un peuple américain fragmenté, divisé, épuisé aussi après presque une décennie de mandature Reagan, une Amérique séparée (Indien/puritains, Blanc/Noirs, pro et antiavortement, patrons et homeless, flics/clandestins, survivants et morts au Vietnam). "La permissivité des années soixante-dix appartient au passé.", dit un militaire de carrière. Passant d'une communauté à une autre, d'une zone à l'autre, d'un prédicateur formaliste à un journaliste activiste, Kramer va au contact des gens, éprouvant dans le mouvement de sa quête le paradoxe d'un peuple présent et absent comme en une représentation de son étiolement tout au long de l'Histoire. Et pourtant : qu'il s'agisse d'une vieille Indienne qui se souvient de son mari, d'un vétéran de la guerre du Vietnam devant le mémorial de Washington, d'un soldat en manœuvre, d'un marine noir qui se construit une maison comme en son temps Thoreau sa cabane dans la forêt, d'un épicier d'origine portugaise, d'un policier patrouillant dans les ghettos de Bridgeport, d'un patriote qui expose images et insignes d'une vie dans son home ou d'une assistante sociale cubaine, tous ne cessent de réactiver le souvenir d'une Amérique possible, forcément universelle et forcément perdue, à moins qu'il ne s'agisse de la plus belle hypothèses : "tous ces coraux font partie du même corps, un seul système digestif", dit le guide des fonds marins de Floride à la toute fin du film (c'est même la dernière phrase) tandis que Doc semble lui aussi trouver, provisoirement sans doute, son havre de paix en un endroit pourtant improbable de Miami, sorte d'Amérique vaudou ou créole entre bayous, palmiers et cargos fantômes. Doc qui avait dit à la caméra de Kramer vouloir cesser d'être un "observateur" pour se fondre à son tour dans une communauté et "rencontrer les gens autrement". Et s'il suffisait de croire au peuple américain pour le voir (ré) apparaitre, par-delà les haines, les particularismes et les métissages avortés, au bout de la route, quelque part entre mirage ou hallucination et réalité politique à portée de main ? Mais cet espoir, est-ce là, comme au principe même de Route One/USA, juste une fiction qui vient s'insinuer dans le documentaire ?" Bernard Benoliel et Jean-Baptiste Thoret, Road Movie, USA, éditions Hoëbeke, 2011

Séances

mardi 4/10 20:30 - - dimanche 9/10 16:00

> En complicité avec La séance des Ciné Sup'