RÉTROSPECTIVE LUCHINO VISCONTI • DÉCEMBRE 2015-JANVIER 2016
Italie-France, 1973, 3h50, VOSTF
avec Helmut Berger, Romy Schneider, Silvana Mangano
NUM • VERSION RESTAURÉE
avec Helmut Berger, Romy Schneider, Silvana Mangano
NUM • VERSION RESTAURÉE
Le règne de Louis II de Bavière, qui monte sur le trône en 1864, dans une période complexe. Il veut faire de la Bavière le royaume de ses deux passions, la littérature et la musique... Dès le début un personnage nous annonce la fin. D’autres ponctueront le récit, cassant régulièrement les pompes et les fastes des jeux de cour. Accompagnée par la musique de Wagner, c’est une marche vers l’accomplissement d’un destin où le roi partage le sort d’une monarchie qui cède la place à une bourgeoisie médiocre. La décrépitude physique du roi est presque présentée comme un choix, un suicide programmé dans les châteaux qui furent ses rêves. Le meilleur des films sur Louis II car il nous fait ressentir la démesure splendide et vénéneuse du personnage et de l’époque.
"Nous ne verrons jamais l'adaptation de A la recherche du temps perdu que devait réaliser Luchino Visconti, mais il reste Ludwig pour se consoler. En effet, l'un s'est substitué à l'autre. Au dernier moment, alors que le scénario était prêt, les repérages effectués et le casting réuni, d'inextricables difficultés financières ont amené Visconti à renoncer à Proust pour se tourner vers Louis II de Bavière. Bien que fasciné depuis longtemps par le personnage, il ne concevait ce film que comme un intermède, avant sa version de A la recherche. Ce sera son dernier chef-d’œuvre. Mais Ludwig, troisième volet de sa trilogie allemande, après Les Damnés et Mort à Venise, ne fut longtemps que Le Crépuscule des dieux, un film amputé et maudit.
Le cinéaste en fut la première victime. De retour à Rome, après quatre mois d'un tournage épuisant en décors naturels, Visconti est frappé par une attaque le 27 juillet 1972. Rétabli, il se met au montage de Ludwig, coupe des séquences entières et arrive à une version de quatre heures. Affolés, les producteurs refusent de diffuser le film en deux parties. Il sera réduit à trois heures, remonté avec une structure en flash-back que détestait Visconti et connaîtra un cinglant échec commercial et critique. Jusqu'à sa mort, Visconti refusera de le revoir. Il faudra attendre l'été 1983 pour que sorte en salles la version intégrale, restaurée par Ruggero Mastroianni, le monteur, et Suso Cecchi d'Amico, la coscénariste et amie fidèle. Ainsi, Ludwig nous est rendu tel que Visconti l'avait conçu. Son passage sur Arte, et sa réduction au petit écran, permettent paradoxalement de lui rendre justice des clichés trop commodes de «film-opéra» et de délire visuel gratuit qui lui collent à la peau.
Comme Citizen Kane, c'est plutôt un faux film-enquête, qui part de témoignages parcellaires pour tenter de saisir le mystère d'un homme. Dès le début, un visage sort du noir pour dire tout ce qu'il sait sur le roi défunt: rien. En tournant autour de son personnage, à l'opposé des rapports secs et trompeurs qui rythment le film comme autant de fausses pistes, Visconti le construit pas à pas, par approches et éloignements successifs (d'où les constants effets de zoom). Si, comme toujours chez ce cinéaste de la précision, les tiroirs doivent être pleins d'objets qu'on ne voit jamais et les bijoux du couronnement venir de chez Bulgari, c'est pour se concentrer sur l'essentiel: la figure humaine.
Dans la sublime première séquence avec Elisabeth d'Autriche (Romy Schneider), Ludwig et sa cousine sont deux enfants perdus dans la nuit. Ils sont très beaux. En filmant la rapide décrépitude des traits parfaits d'Helmut Berger, Visconti enregistre un lent processus de déperdition, l'histoire d'un visage. Ludwig veut faire passer sa beauté dans le monde, l'extirper de lui pour l'inscrire ailleurs. Son idéal n'est pas politique mais esthétique. Ça en fait un très mauvais souverain mais un grand créateur, ou plutôt un producteur idéal. A Wagner, il offre sa fortune pour que les visions de son poète préféré deviennent réalité. Puis, en construisant des châteaux somptueux, il édifie les décors nécessaires à l'accomplissement du héros wagnérien qu'il veut devenir. Comme Visconti, Ludwig est un grand artiste. Mais un artiste sans art, éternellement seul, unique spectateur de sa vie. Avec Ludwig, Visconti réussit mieux que jamais l'exploit de subordonner le spectaculaire à l'intime. Là où tout (le sujet, le personnage, la légende, le cadre) le poussait à la magnificence tape-à-l'oeil, au monumental, il opte pour le plus rigoureux dépouillement. On s'attendait à une fresque, on se retrouve face à un portrait. On ne peut que pleurer en le contemplant.
Frédéric Bonnaud, Libération
"Nous ne verrons jamais l'adaptation de A la recherche du temps perdu que devait réaliser Luchino Visconti, mais il reste Ludwig pour se consoler. En effet, l'un s'est substitué à l'autre. Au dernier moment, alors que le scénario était prêt, les repérages effectués et le casting réuni, d'inextricables difficultés financières ont amené Visconti à renoncer à Proust pour se tourner vers Louis II de Bavière. Bien que fasciné depuis longtemps par le personnage, il ne concevait ce film que comme un intermède, avant sa version de A la recherche. Ce sera son dernier chef-d’œuvre. Mais Ludwig, troisième volet de sa trilogie allemande, après Les Damnés et Mort à Venise, ne fut longtemps que Le Crépuscule des dieux, un film amputé et maudit.
Le cinéaste en fut la première victime. De retour à Rome, après quatre mois d'un tournage épuisant en décors naturels, Visconti est frappé par une attaque le 27 juillet 1972. Rétabli, il se met au montage de Ludwig, coupe des séquences entières et arrive à une version de quatre heures. Affolés, les producteurs refusent de diffuser le film en deux parties. Il sera réduit à trois heures, remonté avec une structure en flash-back que détestait Visconti et connaîtra un cinglant échec commercial et critique. Jusqu'à sa mort, Visconti refusera de le revoir. Il faudra attendre l'été 1983 pour que sorte en salles la version intégrale, restaurée par Ruggero Mastroianni, le monteur, et Suso Cecchi d'Amico, la coscénariste et amie fidèle. Ainsi, Ludwig nous est rendu tel que Visconti l'avait conçu. Son passage sur Arte, et sa réduction au petit écran, permettent paradoxalement de lui rendre justice des clichés trop commodes de «film-opéra» et de délire visuel gratuit qui lui collent à la peau.
Comme Citizen Kane, c'est plutôt un faux film-enquête, qui part de témoignages parcellaires pour tenter de saisir le mystère d'un homme. Dès le début, un visage sort du noir pour dire tout ce qu'il sait sur le roi défunt: rien. En tournant autour de son personnage, à l'opposé des rapports secs et trompeurs qui rythment le film comme autant de fausses pistes, Visconti le construit pas à pas, par approches et éloignements successifs (d'où les constants effets de zoom). Si, comme toujours chez ce cinéaste de la précision, les tiroirs doivent être pleins d'objets qu'on ne voit jamais et les bijoux du couronnement venir de chez Bulgari, c'est pour se concentrer sur l'essentiel: la figure humaine.
Dans la sublime première séquence avec Elisabeth d'Autriche (Romy Schneider), Ludwig et sa cousine sont deux enfants perdus dans la nuit. Ils sont très beaux. En filmant la rapide décrépitude des traits parfaits d'Helmut Berger, Visconti enregistre un lent processus de déperdition, l'histoire d'un visage. Ludwig veut faire passer sa beauté dans le monde, l'extirper de lui pour l'inscrire ailleurs. Son idéal n'est pas politique mais esthétique. Ça en fait un très mauvais souverain mais un grand créateur, ou plutôt un producteur idéal. A Wagner, il offre sa fortune pour que les visions de son poète préféré deviennent réalité. Puis, en construisant des châteaux somptueux, il édifie les décors nécessaires à l'accomplissement du héros wagnérien qu'il veut devenir. Comme Visconti, Ludwig est un grand artiste. Mais un artiste sans art, éternellement seul, unique spectateur de sa vie. Avec Ludwig, Visconti réussit mieux que jamais l'exploit de subordonner le spectaculaire à l'intime. Là où tout (le sujet, le personnage, la légende, le cadre) le poussait à la magnificence tape-à-l'oeil, au monumental, il opte pour le plus rigoureux dépouillement. On s'attendait à une fresque, on se retrouve face à un portrait. On ne peut que pleurer en le contemplant.
Frédéric Bonnaud, Libération
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