PROGRAMMATION MAI 2007
USA, 1997, 3h15, VOSTF, documentaire
À Chicago, Frederick Wiseman et son équipe légère ont observé pendant six semaines les activités quotidiennes de la cité Ida B. Wells, un ensemble de logements sociaux dont les habitants sont majoritairement noirs et pauvres. Le film prend le contre-pied des stéréotypes et corrobore les "problèmes sociaux" qu’on attendait en les abordant comme on ne les attendait pas.
« Ville : Ida B. Wells, cité de la banlieue de Chicago. Année : aujourd’hui (1997). Population : noire à 99%. Problèmes : drogue, chômage, insalubrité, logement, sida, vols, violences, vieillesse, grande pauvreté, éclatement des familles, etc. Espérance de vie : faible et aléatoire. Pays : au moment d’écrire Etats-Unis, on hésite tant l’impression voulue et donnée par Public Housing, le trentième film de Frederick Wiseman, est celle d’une île coupée du reste du monde auquel pourtant il paraît qu’elle appartient – définition d’un ghetto. Existe-t-il encore un monde hors-champ, ou voit-on des survivants de l’humanité tenter d’habiter des ruines ? Et si oui, ce monde sait-il encore que Wells existe ou bien a-t-il déjà fait le sacrifice de cette partie de lui-même, exactement comme il a renoncé à penser l’existence d’un tiers-monde ? C’est la terrifiante vertu du travail de Wiseman : l’immersion totale – espace sans sortie, durée sans rémission d’un temps anti-télévisuel – en un milieu saisi dans son quotidien provoque, non seulement un effet d’hyper-réalité, mais aussi une impression d’étrangeté, de fantastique. Si bien qu’en voyant Public Housing, les seuls autres films auxquels on pense sont Assaut, Invasion Los Angeles ou New York 1997 : comme si les fictions urbaines pas si paranoïaques que ça tout d’un coup de John Carpenter, avaient poussé sur le terreau documentaire retourné par Frederick Wiseman ; terreau devenu en quelque sorte caution pré-historique, hors de toute chronologie des films, à des scénarios-catastrophes qui, en en retour, laissent imaginer ce qui est latent dans la réalité filmée. D’ailleurs, une "femme de terrain" dit au cours d’une de ces réunions de quartier filmés dans Public Housing, que la cité est au bord de devenir une "war zone", ce qui serait un très bon titre pour un Carpenter. Et il y a un tragi-comique involontaire à ce que la ville s’appelle Wells, comme l’écrivain de La Guerre des mondes. Deux mondes en guerre (à moins que l’ethnocide en cours ne l’empêche). Deux mondes aussi qui, pour l’instant, s’ignorent. »
Bernard Benoliel, Les Cahiers du cinéma
« Un supermarché, ses allées, ses chariots et sa profusion de richesses mercantiles mises à portée de toutes les mains : quelle image plus prosaïquement symbolique de l’american way of life ? Dans Public Housing, que Frederic Wiseman a tourné dans les quartiers noirs de Chicago, on trouve un supermarché conforme au modèle type. Sauf qu’il est interdit aux consommateurs. Ses allées sont réservées aux vendeurs, ses étagères au stockage. Les clients, eux, s’agglutinent à l’extérieur, derrière un guichet grillagé, lançant leur demande de loin, le nez sur la vitre du paradis perdu, le geste maintenu à distance respectable par les précautions antivol… Une scène hallucinante de l’envers des rêves américains, filmée, sans commentaire, par un grand du documentaire hors norme. Après l’hôpital psychiatrique, la caserne, le grand magasin, Wiseman, éternel chroniqueur des institutions américaines, est allé interroger la réalité du logement social à Chicago, "noeud" emblématique de tous les problèmes urbains du pays : affrontements raciaux, drogue, chômage… (…) Il peut y avoir des séquences choc chez Wiseman comme celle du supermarché, mais sa démarche repose essentiellement sur autre chose : une maïeutique de la rencontre et du montage, qui accorde tout son temps à la complexité des choses et des gens… En trois heures, Public Housing nous donne l’impression d’un voyage en direct : il nous véhicule à l’intérieur des bureaux, des maisons, des cuisines, des salles de réunion, sans oublier d’enregistrer le jeu paisiblement inattendu des jets d’eau sur les pelouses ombragées des grands ensembles pas si décatis que ça. On y rencontre des cheftaines d’association, des flics, de ménagères volubiles et des vieilles dames mutiques, des sportifs reconvertis dans le social, des pseudo délinquants "courants" et des drogués qui veulent se repentir. Le film prend le contre-pied des stéréotypes et corrobore les "problèmes sociaux" qu’on attendait en les abordant comme on ne les attendait pas. Public Housing, cela étant, parle, même si on ne l’entend pas, par la voix de Wiseman. C’est-à-dire par son montage, dont les choix ne sont évidemment pas neutres : lui-même a expliqué, par exemple, qu’il n’avait pas retenu d’images de rappeurs (à Chicago !) pour éviter de donner dans un cliché trop convenu. On se demandera, alors, si les pelouses du quartier d’Ida B. Wells Homes sont vraiment plus fleuries que les graffitis d’escaliers, et s’il n’atténue pas quelques misères convenues mais réelles. On s’interrogera plus encore sur le comportement qu’auraient les policiers qu’il accompagne s’il n’était pas là. Questions sans réponses. Mais questions elles-mêmes stimulantes. »
Ange-Dominique Bouzet, Libération
« Ville : Ida B. Wells, cité de la banlieue de Chicago. Année : aujourd’hui (1997). Population : noire à 99%. Problèmes : drogue, chômage, insalubrité, logement, sida, vols, violences, vieillesse, grande pauvreté, éclatement des familles, etc. Espérance de vie : faible et aléatoire. Pays : au moment d’écrire Etats-Unis, on hésite tant l’impression voulue et donnée par Public Housing, le trentième film de Frederick Wiseman, est celle d’une île coupée du reste du monde auquel pourtant il paraît qu’elle appartient – définition d’un ghetto. Existe-t-il encore un monde hors-champ, ou voit-on des survivants de l’humanité tenter d’habiter des ruines ? Et si oui, ce monde sait-il encore que Wells existe ou bien a-t-il déjà fait le sacrifice de cette partie de lui-même, exactement comme il a renoncé à penser l’existence d’un tiers-monde ? C’est la terrifiante vertu du travail de Wiseman : l’immersion totale – espace sans sortie, durée sans rémission d’un temps anti-télévisuel – en un milieu saisi dans son quotidien provoque, non seulement un effet d’hyper-réalité, mais aussi une impression d’étrangeté, de fantastique. Si bien qu’en voyant Public Housing, les seuls autres films auxquels on pense sont Assaut, Invasion Los Angeles ou New York 1997 : comme si les fictions urbaines pas si paranoïaques que ça tout d’un coup de John Carpenter, avaient poussé sur le terreau documentaire retourné par Frederick Wiseman ; terreau devenu en quelque sorte caution pré-historique, hors de toute chronologie des films, à des scénarios-catastrophes qui, en en retour, laissent imaginer ce qui est latent dans la réalité filmée. D’ailleurs, une "femme de terrain" dit au cours d’une de ces réunions de quartier filmés dans Public Housing, que la cité est au bord de devenir une "war zone", ce qui serait un très bon titre pour un Carpenter. Et il y a un tragi-comique involontaire à ce que la ville s’appelle Wells, comme l’écrivain de La Guerre des mondes. Deux mondes en guerre (à moins que l’ethnocide en cours ne l’empêche). Deux mondes aussi qui, pour l’instant, s’ignorent. »
Bernard Benoliel, Les Cahiers du cinéma
« Un supermarché, ses allées, ses chariots et sa profusion de richesses mercantiles mises à portée de toutes les mains : quelle image plus prosaïquement symbolique de l’american way of life ? Dans Public Housing, que Frederic Wiseman a tourné dans les quartiers noirs de Chicago, on trouve un supermarché conforme au modèle type. Sauf qu’il est interdit aux consommateurs. Ses allées sont réservées aux vendeurs, ses étagères au stockage. Les clients, eux, s’agglutinent à l’extérieur, derrière un guichet grillagé, lançant leur demande de loin, le nez sur la vitre du paradis perdu, le geste maintenu à distance respectable par les précautions antivol… Une scène hallucinante de l’envers des rêves américains, filmée, sans commentaire, par un grand du documentaire hors norme. Après l’hôpital psychiatrique, la caserne, le grand magasin, Wiseman, éternel chroniqueur des institutions américaines, est allé interroger la réalité du logement social à Chicago, "noeud" emblématique de tous les problèmes urbains du pays : affrontements raciaux, drogue, chômage… (…) Il peut y avoir des séquences choc chez Wiseman comme celle du supermarché, mais sa démarche repose essentiellement sur autre chose : une maïeutique de la rencontre et du montage, qui accorde tout son temps à la complexité des choses et des gens… En trois heures, Public Housing nous donne l’impression d’un voyage en direct : il nous véhicule à l’intérieur des bureaux, des maisons, des cuisines, des salles de réunion, sans oublier d’enregistrer le jeu paisiblement inattendu des jets d’eau sur les pelouses ombragées des grands ensembles pas si décatis que ça. On y rencontre des cheftaines d’association, des flics, de ménagères volubiles et des vieilles dames mutiques, des sportifs reconvertis dans le social, des pseudo délinquants "courants" et des drogués qui veulent se repentir. Le film prend le contre-pied des stéréotypes et corrobore les "problèmes sociaux" qu’on attendait en les abordant comme on ne les attendait pas. Public Housing, cela étant, parle, même si on ne l’entend pas, par la voix de Wiseman. C’est-à-dire par son montage, dont les choix ne sont évidemment pas neutres : lui-même a expliqué, par exemple, qu’il n’avait pas retenu d’images de rappeurs (à Chicago !) pour éviter de donner dans un cliché trop convenu. On se demandera, alors, si les pelouses du quartier d’Ida B. Wells Homes sont vraiment plus fleuries que les graffitis d’escaliers, et s’il n’atténue pas quelques misères convenues mais réelles. On s’interrogera plus encore sur le comportement qu’auraient les policiers qu’il accompagne s’il n’était pas là. Questions sans réponses. Mais questions elles-mêmes stimulantes. »
Ange-Dominique Bouzet, Libération
SEANCES
jeudi 3 mai à 20h30
dimanche 6 mai à 20h30
mardi 8 mai à 20h
dimanche 6 mai à 20h30
mardi 8 mai à 20h