Mind Game
Nishi est un auteur de mangas timide, âgé d’une vingtaine d’années. Un soir, il retrouve dans le wagon d’une rame de métro l’amour de sa vie, Myon, une jeune femme aux formes sublimées dont il est épris depuis son plus jeune âge. Cette rencontre, fruit d’un hasard bienveillant, marque pour Nishi les prémices d’une opportunité : celle d’affirmer enfin ses sentiments pour la sculpturale demoiselle. Mais celle-ci est sur le point d’épouser Ryo… Tous se retrouvent dans le restaurant sans prétention de Myon et de sa sœur, qui vivent avec leur père coureur de jupons depuis que leur mère les a quittés. L’entrée en scène de deux yakuzas, dont le très en colère Atsu venu régler des comptes avec le paternel, va quelque peu bouleverser le cours des évènements : alors que Myon est sur le point de se faire violer, la colère s’empare de Nishi, menacé par une arme à feu. Atsu abat notre héros qui se retrouve face à un Dieu polymorphe qui le condamne à disparaître. Mais Nishi ne l’entend pas de cette façon : la vie lui a donné une occasion de se rapprocher de Myon, et il compte bien braver tous les obstacles pour ne plus se laisser porter par les regrets. Tous les obstacles, y compris la mort.
Le Studio 4°C est avant tout connu pour ses productions colossales - Memories, Spriggan, Steamboy -, mais aussi pour la présence en ses rangs de l’extraordinaire Koji Morimoto, réalisateur de l’inégalé Magnetic Rose et du mythique Noiseman Sound Insect. Au générique de ce court-métrage abstrait qui reste l’un des symboles des velléités artistiques du studio, on retrouvait un certain Masaaki Yuasa, qui a notamment œuvré sur les adaptations des aventures pipi-caca de Crayon Shin-Chan, mais aussi sur l’animation de Mes voisins les Yamada. Adaptation d’un manga de Robin Nishi, Mind Game, sorti en 2004 sur les écrans japonais, est le premier long-métrage de cet homme qui a embrassé toutes les facettes de l’animation, de la direction artistique au character design, avant de livrer une œuvre qui lui ressemble, multiple et vivante.
Mind Game est un film que l’on pourrait qualifier d’expérimental s’il n’avait un objectif narratif, bien que complexe, si clairement énoncé et atteint. Celui de retranscrire avec dynamisme la force motrice qui nous pousse, à chaque instant, à effectuer les choix qui définissent non seulement notre vie, mais aussi celle de ceux qui nous entourent et nous côtoient. Les frasques de Nishi démarrent d’ailleurs par ce message plus ou moins subliminal, écrit sur une affiche ou sur l’écran d’un téléphone portable : « Votre vie est le résultat de vos propres décisions ». Sauf que, lorsque Mind Game s’ouvre sur son torrent d’images et de cadrages iconoclastes, Nishi, lui, n’en a effectué que peu, des décisions, se laissant porter par des sentiments tus plutôt que par de véritables affirmations. C’est lorsque Myon lui annonce qu’elle est sur le point de se marier, que Mind Game dévoile son visage de film aux multiples éventualités, laissant au héros la possibilité - telle que l’énoncera son Dieu plus en avant - de vivre sa vie comme un jeu, usant et abusant des possibilités du bouton « Reset » : Nishi s’imagine proclamant son amour à sa belle, avant de décider qu’un tel acte ne lui ressemble pas et de revivre la scène en parfait gentleman, peu combatif, félicitant Myon pour ses fiançailles.
Masaaki Yuasa décide alors d’acculer son protagoniste en faisant intervenir cette collision chère au cinéma contemporain : plusieurs destins qui ne pouvaient s’imaginer liés. De l’expérimentation, Mind Game passerait presque alors au cinéma d’exploitation. Les cadrages exacerbés de la séquence du restaurant, avec son lot de perspectives exagérées et ses procédés de dilatation graphique, renvoient autant à certaines tendances du manga qu’au cinéma d’exploitation japonais des années 70, au sein duquel des réalisateurs comme Shunya Ito (Female Convict Scorpion) s’amusaient déjà à livrer de magnifiques décadrages, immoraux et violents. Décadrages eux-mêmes issus, à l’époque, d’une frange adulte du manga. Nishi trépasse dans une mise en scène que ne renierait pas - comme en témoigne sa relecture filaire en trois dimensions - le Takashi Miike de Dead or Alive 2. Mind Game s’enfonce, plus profondément encore, dans les possibilités infinies de notre existence.
Quelle meilleure incarnation de toutes ces réalités potentielles que cette divinité à l’allure changeante qui tente de contraindre Nishi à disparaître ? Tandis que Nishi revient sur son parcours, ses erreurs et ses opportunités manquées, la divinité protéiforme incarne telle un miroir déformant les nombreuses personnalités et vies qui auraient pu résulter d’autant de choix distincts. A chaque possibilité correspond son lot de convictions et de craintes, et par conséquent autant d’apparences divines imaginées. Nishi vainc cette représentation de sa timidité, dissimulée derrière de trop nombreux prétextes, promettant de s’affirmer pour obtenir une seconde chance. Chance qui va se jouer au cœur du ventre d’une baleine, aux côtés de Myon et de sa sœur mais aussi d’un vieil homme, prisonnier des ténèbres depuis plus de trente ans, dans une histoire tour à tour vécue à la première personne et omnisciente . Celle de Nishi, certes, mais aussi la nôtre, la vôtre.
Si Nishi se ment, doit-on vraiment s’étonner de le retrouver, tel Pinocchio, au cœur d’un monstre marin avant de le voir prendre son envol en tant qu’entité réellement vivante ? Mind Game a beau paraître abstrait dans sa dynamique faussement libre - la méticulosité, technique et narrative, apportée à l’ensemble du métrage, gomme rapidement la théorie d’une écriture et d’une mise en scène automatiques -, il n’en demeure pas moins d’une grande cohérence. Et surtout, en dépit de sa violence, visuelle et de contenu, éminemment optimiste. Alors que bon nombre de cinéastes japonais, y compris dans l’animation, aiment à puiser la beauté dans l’inexorable, Masaaki Yuasa se plaît à offrir un kaléidoscope de couleurs et de procédés (synthèse, crayonnés, photos, tout se superpose pour créer l’illusion de vie) qui est celui, enivrant, des sensations de la vie, tour à tour violentes, mignonnes, perverses, érotiques, tristes, drôles.... Une vie en perpétuelle évolution et devenir, à l’écoute de chacune de nos décisions pour se réorienter, rebondir, prendre son élan sur l’infiniment petit comme sur le majestueux, se jouer des échelles pour s’affirmer, éternelle et lieux de tous les possibles. C’est pourquoi cette histoire ne « connaît pas de fin » : elle attend, pour avancer, votre prochaine impulsion de spectateur. Vous, entités faites d’attentes, de systèmes de valeurs et de gammes d’émotions, invitées à vous redéfinir au terme d’une projection d’une densité rare.
Le Studio 4°C est avant tout connu pour ses productions colossales - Memories, Spriggan, Steamboy -, mais aussi pour la présence en ses rangs de l’extraordinaire Koji Morimoto, réalisateur de l’inégalé Magnetic Rose et du mythique Noiseman Sound Insect. Au générique de ce court-métrage abstrait qui reste l’un des symboles des velléités artistiques du studio, on retrouvait un certain Masaaki Yuasa, qui a notamment œuvré sur les adaptations des aventures pipi-caca de Crayon Shin-Chan, mais aussi sur l’animation de Mes voisins les Yamada. Adaptation d’un manga de Robin Nishi, Mind Game, sorti en 2004 sur les écrans japonais, est le premier long-métrage de cet homme qui a embrassé toutes les facettes de l’animation, de la direction artistique au character design, avant de livrer une œuvre qui lui ressemble, multiple et vivante.
Mind Game est un film que l’on pourrait qualifier d’expérimental s’il n’avait un objectif narratif, bien que complexe, si clairement énoncé et atteint. Celui de retranscrire avec dynamisme la force motrice qui nous pousse, à chaque instant, à effectuer les choix qui définissent non seulement notre vie, mais aussi celle de ceux qui nous entourent et nous côtoient. Les frasques de Nishi démarrent d’ailleurs par ce message plus ou moins subliminal, écrit sur une affiche ou sur l’écran d’un téléphone portable : « Votre vie est le résultat de vos propres décisions ». Sauf que, lorsque Mind Game s’ouvre sur son torrent d’images et de cadrages iconoclastes, Nishi, lui, n’en a effectué que peu, des décisions, se laissant porter par des sentiments tus plutôt que par de véritables affirmations. C’est lorsque Myon lui annonce qu’elle est sur le point de se marier, que Mind Game dévoile son visage de film aux multiples éventualités, laissant au héros la possibilité - telle que l’énoncera son Dieu plus en avant - de vivre sa vie comme un jeu, usant et abusant des possibilités du bouton « Reset » : Nishi s’imagine proclamant son amour à sa belle, avant de décider qu’un tel acte ne lui ressemble pas et de revivre la scène en parfait gentleman, peu combatif, félicitant Myon pour ses fiançailles.
Masaaki Yuasa décide alors d’acculer son protagoniste en faisant intervenir cette collision chère au cinéma contemporain : plusieurs destins qui ne pouvaient s’imaginer liés. De l’expérimentation, Mind Game passerait presque alors au cinéma d’exploitation. Les cadrages exacerbés de la séquence du restaurant, avec son lot de perspectives exagérées et ses procédés de dilatation graphique, renvoient autant à certaines tendances du manga qu’au cinéma d’exploitation japonais des années 70, au sein duquel des réalisateurs comme Shunya Ito (Female Convict Scorpion) s’amusaient déjà à livrer de magnifiques décadrages, immoraux et violents. Décadrages eux-mêmes issus, à l’époque, d’une frange adulte du manga. Nishi trépasse dans une mise en scène que ne renierait pas - comme en témoigne sa relecture filaire en trois dimensions - le Takashi Miike de Dead or Alive 2. Mind Game s’enfonce, plus profondément encore, dans les possibilités infinies de notre existence.
Quelle meilleure incarnation de toutes ces réalités potentielles que cette divinité à l’allure changeante qui tente de contraindre Nishi à disparaître ? Tandis que Nishi revient sur son parcours, ses erreurs et ses opportunités manquées, la divinité protéiforme incarne telle un miroir déformant les nombreuses personnalités et vies qui auraient pu résulter d’autant de choix distincts. A chaque possibilité correspond son lot de convictions et de craintes, et par conséquent autant d’apparences divines imaginées. Nishi vainc cette représentation de sa timidité, dissimulée derrière de trop nombreux prétextes, promettant de s’affirmer pour obtenir une seconde chance. Chance qui va se jouer au cœur du ventre d’une baleine, aux côtés de Myon et de sa sœur mais aussi d’un vieil homme, prisonnier des ténèbres depuis plus de trente ans, dans une histoire tour à tour vécue à la première personne et omnisciente . Celle de Nishi, certes, mais aussi la nôtre, la vôtre.
Si Nishi se ment, doit-on vraiment s’étonner de le retrouver, tel Pinocchio, au cœur d’un monstre marin avant de le voir prendre son envol en tant qu’entité réellement vivante ? Mind Game a beau paraître abstrait dans sa dynamique faussement libre - la méticulosité, technique et narrative, apportée à l’ensemble du métrage, gomme rapidement la théorie d’une écriture et d’une mise en scène automatiques -, il n’en demeure pas moins d’une grande cohérence. Et surtout, en dépit de sa violence, visuelle et de contenu, éminemment optimiste. Alors que bon nombre de cinéastes japonais, y compris dans l’animation, aiment à puiser la beauté dans l’inexorable, Masaaki Yuasa se plaît à offrir un kaléidoscope de couleurs et de procédés (synthèse, crayonnés, photos, tout se superpose pour créer l’illusion de vie) qui est celui, enivrant, des sensations de la vie, tour à tour violentes, mignonnes, perverses, érotiques, tristes, drôles.... Une vie en perpétuelle évolution et devenir, à l’écoute de chacune de nos décisions pour se réorienter, rebondir, prendre son élan sur l’infiniment petit comme sur le majestueux, se jouer des échelles pour s’affirmer, éternelle et lieux de tous les possibles. C’est pourquoi cette histoire ne « connaît pas de fin » : elle attend, pour avancer, votre prochaine impulsion de spectateur. Vous, entités faites d’attentes, de systèmes de valeurs et de gammes d’émotions, invitées à vous redéfinir au terme d’une projection d’une densité rare.
à l'occasion du cycle Mutations, un texte sur le formidable Mind Game de Masaaki Yuasa