Le Cinematographe
Le Cinématographe
Le Cinématographe, salle de cinéma à Nantes et Education à l'image

CYCLES ET RÉTROSPECTIVES

Tirez sur le pianiste


de François Truffaut



INTÉGRALE FRANÇOIS TRUFFAUT • FÉVRIER-MARS 2016

France, 1960, 1h30
avec Charles Aznavour, Marie Dubois, Nicole Berger
NUM


Tirez sur le pianiste
Dans un bastringue de banlieue un ancien concertiste tente d’oublier un passé douloureux en pianotant le soir pour les guincheurs du quartier... À partir d’un excellent roman noir de David Goodis, Truffaut crée un film où l’atmosphère est plus importante que l’intrigue. Il entoure le protagoniste, un timide rongé par la culpabilité, de personnages pathétiques ou drolatiques, assurant par des trouvailles visuelles ou sonores des ruptures de ton permanentes où la musique - les musiques - jouent un rôle important. Boudé à l’époque par un public désorienté par le décalage avec Les 400 coups, il apparaît avec le recul comme l’un des plus intimes et des plus profonds de Truffaut.

"Ma formation de critique me conduit toujours à travailler "en réaction contre". Ainsi Tirez sur le pianiste est-il en réaction contre le film policier naïf ou la surenchère de la violence tente de pallier le manque de talent, en réaction également contre le le film noir humanisé où les gangsters se regardent les yeux mouillés et ou les honnêtes gens se comportent comme des crapules. J'ai pratiqué systématiquement le mélange des genres et parfois je n'ai pas hésité à pasticher. Par exemple la scène ou Nicole Berger se jette par la fenêtre est un pastiche mélodramatique et respectueux de certains films américains. Ainsi je rend hommage aux œuvres de Nicholas Ray et Samuel Fuller, pour ne citer qu'eux, et de façon plus générale au cinéma américain dit de série B. J'ai voulu aborder ce sujet à la manière d'un conte de Perrault. Déjà j'avais été frappé par le ton du roman de Goodis qui, à un certain moment, dépasse les limites de la série noire pour rejoindre le conte de fées. Au reste, le pianiste n'est pas fait pour ce qu'on y croie, mais pour divertir, amuser..." François Truffaut, propos recueillis par Yvonne Baby pour Le Monde, 1960

"En un sens, j'ai fait Tirez sur le pianiste contre Les 400 Coups. À mon second film, je me sentais guetté, attendu par ce public qui va au cinéma deux fois par an. J'ai voulu plaire cette fois aux vrais cinglés du cinéma et à eux seuls, quitte à dérouter une grande partie de ceux qui ont aimé Les 400 coups. J'ai refusé d'être prisonnier d'un premier succès, j'ai écarté la tentation d'un "grand sujet". J'ai tourné le dos à ce que l'on attendait et j'ai pris pour règle de conduite mon plaisir." François Truffaut, Scénario de Tirez sur le pianiste

"Deuxième film de Truffaut, inspiré par David Goodis. A la fois romantique et dérisoire, c'est l'histoire de Charlie Kohler, pianiste dans un bar, rattrapé par son passé...De cette intrigue typiquement noire, Truffaut tire un film en équilibre instable, « un conte de Perrault », disait-il. Les deux gangsters kidnappeurs se révèlent à la fois inquiétants et burlesques. Et la musique nostalgique d'Aznavour est aussitôt suivie par Boby Lapointe. Comme le note François Guérif dans Le Guide du cinéma chez soi : « Les critiques américains ont souvent reproché à Goodis ses ruptures de ton, allant jusqu'à suggérer qu'il écrivait de façon automatique, sous l'influence de l'alcool. Ces cahots dans l'écriture, Truffaut a su les rendre dans une mise en scène d'une absolue liberté, jouant sur les ruptures de ton les plus brutales. » Et puis il y a la façon formidable de filmer les rapports homme-femme, notamment lors de la longue marche nocturne de Charles Aznavour et de Marie Dubois, où chacun esquisse un geste vite réprimé, que l'autre attendait pourtant." Pierre Murat, Télérama

"Reprenant le fameux paradoxe de Bazin à propos du Journal d'un curé de campagne de Bresson, on pourrait dire que le roman de Goodis est cinématographique et le film de Truffaut littéraire. Celui-ci donne comme lecture, un travail de lecture, un commentaire toujours ouvert. Le vraisemblable est sans cesse brisé au profit de cette lecture pleine de surprises. Le film, au lieu de dérouler l'intrigue policière, l'arrête et la fait progresser par à-coups. le rythme saccadé qui caractérise le mécanisme de la projection est aussi celui d'une lecture méditative, rêveuse. Dès que nous cessons de consommer un livre pour le lire vraiment nous retrouvons cette approche "au ralenti". L'action y appelle la réflexion. Nous jouissons de pouvoir maîtriser le temps. Au cinéma par contre, le temps nous est imposé. On ne peut pas s'arrêter de regarder pour savourer tel moment. C'est pourtant ce qu'on essaie de faire dans Tirez sur le pianiste. Les poursuites policières nous emportent dans leurs courses folles pour nous offrir le luxe de nous arrêter soudain et de prendre conscience. Le récit du pianiste nous jette vers ces plages de liberté, ces temps morts, ces spasmes souverains où l'image s'ouvre à l'imaginaire." Jean collet, "Le cinéma de François Truffaut", Éditions Lherminier, 1977


- - mercredi 24/02 20:30 - - samedi 27/02 15:00