LA SÉANCE DES CINÉ SUP' • 2012/2013
France-Israël-Italie, 1981-01, 1h37, VOSTF, documentaire
Vingt ans après son premier Wadi, Amos Gitai retourne une troisième fois à Wadi Rushmia. Le site est presque complètement détruit par les promoteurs immobiliers. Youssef et sa femme, les gardiens du lieu et de son histoire, y vivent encore...
"Le cinéma documentaire connaît ce dispositif qui consiste à revenir sur ses pas, filmer le temps qui a passé, enregistrer les traces de ce qui a changé et les marques de ce qui est resté. Gitai lui-même l'a fait, avec La Maison et Une maison à Jérusalem. Mais Wadi, devenu Wadi Grand Canyon avec son troisième épisode, est différent. Parce que la durée est, en Israël, une denrée stratégique, presque un secret militaire. Imaginairement, donc politiquement, tout semble toujours se jouer dans la minute, dans une urgence sans passé ni futur, comme si le "jeune État" était né hier, comme si chaque instant inventait son modèle idéologique - avec comme seuls horizons historiques la geste légendaire du sionisme et l'horizon noir de la Shoah. Mais l'histoire d'Israël est déjà une longue histoire, jour après jour, celle des malheureux qui la subissent. Rien de moins évident, dans un environnement tout entier animé du fantasme du contrôle, de la conquête, de l'initiative qui sans cesse balaie les ennemis innombrables, défait le désert, vainc les malédictions antiques, etc. Enregistrer le temps long, aux côtés de ceux, ni mystiques, ni guerriers, ni pionniers, qui n'ont rien décidé, rien maîtrisé, les non-militants, est dans ce cadre-là le plus radical des pas de côté. Écouter les mots, les intonations, les changements de langues et d'accents, les silences, capter les postures, les regards, les rides sur les visages et sur la pierre, est un geste d'un courage intense et modeste, et qui engendre la lumière. Faire du cinéma, art du temps et de l'enregistrement, dans cette région du monde où les médias audiovisuels, qui sont le contraire, connaissent leur taux de concentration le plus élevé, devient par nature un travail critique d'une puissance extraordinaire."
Jean-Michel Frodon
"Le cinéma documentaire connaît ce dispositif qui consiste à revenir sur ses pas, filmer le temps qui a passé, enregistrer les traces de ce qui a changé et les marques de ce qui est resté. Gitai lui-même l'a fait, avec La Maison et Une maison à Jérusalem. Mais Wadi, devenu Wadi Grand Canyon avec son troisième épisode, est différent. Parce que la durée est, en Israël, une denrée stratégique, presque un secret militaire. Imaginairement, donc politiquement, tout semble toujours se jouer dans la minute, dans une urgence sans passé ni futur, comme si le "jeune État" était né hier, comme si chaque instant inventait son modèle idéologique - avec comme seuls horizons historiques la geste légendaire du sionisme et l'horizon noir de la Shoah. Mais l'histoire d'Israël est déjà une longue histoire, jour après jour, celle des malheureux qui la subissent. Rien de moins évident, dans un environnement tout entier animé du fantasme du contrôle, de la conquête, de l'initiative qui sans cesse balaie les ennemis innombrables, défait le désert, vainc les malédictions antiques, etc. Enregistrer le temps long, aux côtés de ceux, ni mystiques, ni guerriers, ni pionniers, qui n'ont rien décidé, rien maîtrisé, les non-militants, est dans ce cadre-là le plus radical des pas de côté. Écouter les mots, les intonations, les changements de langues et d'accents, les silences, capter les postures, les regards, les rides sur les visages et sur la pierre, est un geste d'un courage intense et modeste, et qui engendre la lumière. Faire du cinéma, art du temps et de l'enregistrement, dans cette région du monde où les médias audiovisuels, qui sont le contraire, connaissent leur taux de concentration le plus élevé, devient par nature un travail critique d'une puissance extraordinaire."
Jean-Michel Frodon
Séance unique
Dimanche 3 février 2013 à 18:30