L'AMÉRIQUE DES MARGES • OCTOBRE-NOVEMBRE 2016
USA, 2005, 1h45, VOSTF
Avec Jonathan Velasquez, Francisco Pedrasa, Milton Velasquez, Usvaldo Panameno
Avec Jonathan Velasquez, Francisco Pedrasa, Milton Velasquez, Usvaldo Panameno
Jonathan, Kiko, Spermball, Porky et les autres sont tous d'origine latino et passent leurs journées ensemble. Ces skatteurs trouvés par Larry Clark dans le ghetto de South Central à Los Angeles ont peu à voir avec ceux de Kids, Bully ou Ken Park. Ni drogués ni violents, ils irradient une énergie et une joie de vivre neuves dans la filmographie de Clark. Car la particularité de la petite bande tient à son refus de la culture dominante du ghetto : le hip-hop et les fringues XXL qui vont avec. Eux jouent dans leur coin du punk-rock et s’habillent très serré, ce qui en fait à la fois des parias perpétuellement agressés par les autres et une "miniaristocratie" mystérieuse pour le cinéaste au moins. Cette aura est le sujet même du film.
"C’est à Beverly Hills, dans une chambre d'adolescente, bonbonnière rose molletonnée, qu'a lieu la scène la plus douce, la plus politique et sans conteste la plus forte du nouveau film de Larry Clark, Wassup Rockers. Assis sur le lit, en sous-vêtements, la jeune propriétaire des lieux et un garçon à la peau brune, cheveux longs, bonnet sur la tête, sont filmés frontalement, en plan fixe. Les yeux grands ouverts, pleins de désir et de curiosité, la jeune fille interroge son invité sur sa vie, lequel lui expose en retour, candide et timide, les détails de son quotidien de pauvre "dans le ghetto", à South Central, totalement coupé du reste de Los Angeles... Dans la réalité comme dans le film, Kiko, le garçon à la peau brune, et sa petite nébuleuse de potes vivent là. D'origine latino-américaine, ils ont grandi dans un environnement hyperviolent, appris à négocier avec lui, à y résister même, à leur manière, en revendiquant leur liberté. Adeptes de skate-board et de punk-rock, ces "rockers" portent des jeans trop serrés, refusent pacifiquement, et au prix de railleries constantes, la doxa "gangsta" qui impose à tous de s'habiller en "baggy", de fumer des joints, d'écouter du rap, etc. Le film s'ouvre sur un entretien de Jonathan, figure-phare de la bande, adolescent magnétique qui évoque un peu, par la manière qu'il a de susciter le désir, le personnage rédempteur interprété par Terrence Stamp dans Théorème de Pasolini, et qui enchaîne ici les anecdotes sur ses copains, sur leur vie de groupe, leurs familles bancales... Construit de manière assez hétérodoxe, Wassup Rockers (contraction de "What's up Rockers ?", "Quoi de neuf, rocker ?", interjection péjorative dans le contexte du ghetto) comprend une première partie très documentaire, solidement ancrée dans l'environnement des rockers. Filmés dans un rapport de grande proximité qui les rend immédiatement attachants, on les suit, sur un fond de musique punk, dévalant en meute les artères de South Central sur de vieilles planches pourries, draguant comme ils peuvent, passant des soirées ensemble, à faire de la musique ou à s'envoyer des vannes. À mi-film, Larry Clark sort ses personnages du gettho pour les emmener à Beverly Hills rencontrer des filles riches et blanches. Sans préavis, on bascule dans la fiction pure. Et ce n'est pas là pure coquetterie de la part de l'auteur. Soulignant qu'une telle situation n'a simplement jamais lieu dans la réalité, ce changement de régime de mise en scène est au contraire un geste politique fort. Il ouvre le film sur une course délirante à travers une enfilade de propriétés cloisonnées appartenant à des milliardaires californiens qui prennent tour à tour ces "kids", et souvent en même temps, pour des objets sexuels et des cibles vivantes. Avec beaucoup d'humour, Larry Clark dépeint une caricature de Charlton Heston, président de la National Rifle Association, momifié mais toujours prêt à tirer sur la jeunesse, une fête hystérique du milieu de la mode, une vieille actrice alcoolique et nymphomane... Présumés coupables en raison de leur apparence, les jeunes ne sortiront pas indemnes de cette course insensée au sein de l'aristocratie financière américaine, paranoïaque et raciste, par bien des aspects tout aussi violente que la loi du ghetto." Isabelle Regnier, Le Monde
"Jonathan, Kiko, et autres gars du quartier, viennent de quitter Beverly Hills dans une camionnette de fortune, comme des clandestins ramenés à la hâte à la frontière. Foulant à nouveau le sol, les ados s’élancent sur leur skate et s’alignent en file indienne, roulant sur le bitume et dans la nuit. Larry Clark les accompagne d’un long mouvement d’appareil latéral, parfaitement ajusté à leur vitesse de glisse. Ce travelling, c’est peut-être ce qu’a toujours cherché Larry Clark dans le cinéma : substituer au cadre fixe d’une photographie un mouvement d’accompagnement de son modèle, trouver la forme qui lui permette d’avancer à la même vitesse qu’un skateur. Le plan est très beau, très émouvant, mais moins que le suivant. Subitement, comme si le cinéaste sautait de la planche à roulettes de son travelling pour enjamber celle de son personnage, le film épouse le point de vue des skateurs. La ville devient alors un poudroiement coloré de néons et de striures abstraites, comme avalées par la caméra. Rien de plus usuel au cinéma qu’un plan subjectif. Pourtant, lorsque la caméra se substitue à l’œil du personnage, que les rails du travelling et la trajectoire du skate ne forment plus qu’une seule avancée convergente, le film ne semble avoir été fait que pour ce plan-là. Pour que le cinéaste consomme jusqu’au bout son désir de se tenir exactement à la place de ceux qu’il filme." Jean-Marc Lalanne, Les Inrockuptibles
"C’est à Beverly Hills, dans une chambre d'adolescente, bonbonnière rose molletonnée, qu'a lieu la scène la plus douce, la plus politique et sans conteste la plus forte du nouveau film de Larry Clark, Wassup Rockers. Assis sur le lit, en sous-vêtements, la jeune propriétaire des lieux et un garçon à la peau brune, cheveux longs, bonnet sur la tête, sont filmés frontalement, en plan fixe. Les yeux grands ouverts, pleins de désir et de curiosité, la jeune fille interroge son invité sur sa vie, lequel lui expose en retour, candide et timide, les détails de son quotidien de pauvre "dans le ghetto", à South Central, totalement coupé du reste de Los Angeles... Dans la réalité comme dans le film, Kiko, le garçon à la peau brune, et sa petite nébuleuse de potes vivent là. D'origine latino-américaine, ils ont grandi dans un environnement hyperviolent, appris à négocier avec lui, à y résister même, à leur manière, en revendiquant leur liberté. Adeptes de skate-board et de punk-rock, ces "rockers" portent des jeans trop serrés, refusent pacifiquement, et au prix de railleries constantes, la doxa "gangsta" qui impose à tous de s'habiller en "baggy", de fumer des joints, d'écouter du rap, etc. Le film s'ouvre sur un entretien de Jonathan, figure-phare de la bande, adolescent magnétique qui évoque un peu, par la manière qu'il a de susciter le désir, le personnage rédempteur interprété par Terrence Stamp dans Théorème de Pasolini, et qui enchaîne ici les anecdotes sur ses copains, sur leur vie de groupe, leurs familles bancales... Construit de manière assez hétérodoxe, Wassup Rockers (contraction de "What's up Rockers ?", "Quoi de neuf, rocker ?", interjection péjorative dans le contexte du ghetto) comprend une première partie très documentaire, solidement ancrée dans l'environnement des rockers. Filmés dans un rapport de grande proximité qui les rend immédiatement attachants, on les suit, sur un fond de musique punk, dévalant en meute les artères de South Central sur de vieilles planches pourries, draguant comme ils peuvent, passant des soirées ensemble, à faire de la musique ou à s'envoyer des vannes. À mi-film, Larry Clark sort ses personnages du gettho pour les emmener à Beverly Hills rencontrer des filles riches et blanches. Sans préavis, on bascule dans la fiction pure. Et ce n'est pas là pure coquetterie de la part de l'auteur. Soulignant qu'une telle situation n'a simplement jamais lieu dans la réalité, ce changement de régime de mise en scène est au contraire un geste politique fort. Il ouvre le film sur une course délirante à travers une enfilade de propriétés cloisonnées appartenant à des milliardaires californiens qui prennent tour à tour ces "kids", et souvent en même temps, pour des objets sexuels et des cibles vivantes. Avec beaucoup d'humour, Larry Clark dépeint une caricature de Charlton Heston, président de la National Rifle Association, momifié mais toujours prêt à tirer sur la jeunesse, une fête hystérique du milieu de la mode, une vieille actrice alcoolique et nymphomane... Présumés coupables en raison de leur apparence, les jeunes ne sortiront pas indemnes de cette course insensée au sein de l'aristocratie financière américaine, paranoïaque et raciste, par bien des aspects tout aussi violente que la loi du ghetto." Isabelle Regnier, Le Monde
"Jonathan, Kiko, et autres gars du quartier, viennent de quitter Beverly Hills dans une camionnette de fortune, comme des clandestins ramenés à la hâte à la frontière. Foulant à nouveau le sol, les ados s’élancent sur leur skate et s’alignent en file indienne, roulant sur le bitume et dans la nuit. Larry Clark les accompagne d’un long mouvement d’appareil latéral, parfaitement ajusté à leur vitesse de glisse. Ce travelling, c’est peut-être ce qu’a toujours cherché Larry Clark dans le cinéma : substituer au cadre fixe d’une photographie un mouvement d’accompagnement de son modèle, trouver la forme qui lui permette d’avancer à la même vitesse qu’un skateur. Le plan est très beau, très émouvant, mais moins que le suivant. Subitement, comme si le cinéaste sautait de la planche à roulettes de son travelling pour enjamber celle de son personnage, le film épouse le point de vue des skateurs. La ville devient alors un poudroiement coloré de néons et de striures abstraites, comme avalées par la caméra. Rien de plus usuel au cinéma qu’un plan subjectif. Pourtant, lorsque la caméra se substitue à l’œil du personnage, que les rails du travelling et la trajectoire du skate ne forment plus qu’une seule avancée convergente, le film ne semble avoir été fait que pour ce plan-là. Pour que le cinéaste consomme jusqu’au bout son désir de se tenir exactement à la place de ceux qu’il filme." Jean-Marc Lalanne, Les Inrockuptibles
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